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parisiennes assises sur le bas de leur robe, et là, pour se reposer des longues patenôtres des hautes fêtes, devisant sur les merveilleuses vertus des voisins et voisines ; il y entendait des jugemens plus beaux que ceux de Salomon, des dictons plus réjouissans que les distiques du sage Caton. Ces fêtes populaires de la parole, ces naïfs débridemens de langue, devaient être toujours ses inspirations et son bonheur.

À cette époque du reste, il se faisait une sorte de transformation dans la partie bruyante des écoliers. Ils n’étaient plus ces sicaires contre lesquels l’official de Paris avait dû lancer tant d’excommunications ; ils ne portaient plus vers la politique cette fièvre turbulente qui les avait rendus si redoutables au commencement du siècle ; ils dirigeaient maintenant leur activité vers la galanterie légère et brillante. Coquillart dans sa vieillesse accablera de ses satires cet amour du luxe extérieur, et bien fera-t-il, car il le trouvera installé, en place des vieilles mœurs, au foyer domestique de la bourgeoisie ; néanmoins il subit un instant son influence, et il se laissa enivrer par toutes ces énervantes douceurs de la vie parisienne qui civilisent au profit des femmes les grossières et provinciales natures.

C’était une grande fête pour lui quand il pouvait rencontrer Tapissier, Carmen, Cesaris, qui chantaient à la vieille mode, et Verdelot, le plus habile joueur de doulcine et de flageolet. Ils ne valaient pas, à vrai dire, Guillaume du Fay et Binchois, qui venaient d’inventer une nouvelle et mélodieuse méthode pour déchanter, c’est-à-dire chanter à deux voix. On les disait pourtant eux-mêmes dépassés par les Anglais, qui suivaient, en haute et basse musique, la méthode de Dunstable et faisaient l’étonnement de la cour de Bourgogne[1]. Il nous apprend aussi combien souvent on le voyait errer par les rues vêtu de vert comme un arbre du mai, la toque ornée d’une branche de verdure, symbole d’amourettes. Il marchait, musant aux fenêtres, regardant avec un gracieux sourire les jeunes filles qui arrosaient d’une main nécessairement tremblottante les giroflées, la parure du prochain bal. Quelquefois il fréquentait les gens de cour, et cultivait la littérature à la mode, du moins il l’indique dans le Monologue du Puys et le Blason des Dames. Quelquefois aussi, pour plaire à ses protecteurs, il composait ces ballades, ces rondeaux où il

Mettoit chevaux et lévriers,
Hérauts, échansons, escuyers.

Il fallait le voir, quand il avait passé les nuits à chercher les mots nouveaux, les nouvelles rimes sur la gracieuse prison d’amour, partir dès le matin avec Henriet et son compagnon Jacquet, musiciens ordinaires des riches écoliers. Ils s’en allaient tous trois donner l’aubade à quelque riche et bienveillante bourgeoise. Combien plus tard il trouvera ce temps plaisant et cette musique jolie :

Où estes-vous, chantz de linottes,
De chardonneretz ou serins,
Qui chantiez de si plaisans notes
Soubz les treilles de ses jardins ?

  1. Tous ces détails sur la musique au XVe siècle nous sont transmis dans un poème de cette époque, le Champion des Dames, de Martin Franc.