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Les dyables m’ont rompu ma houppelande,
Et ma chappe est par vin toute perdue ;
Mieux m’eust valu chasser en une lande.

Le jeune étudiant rémois tenait de son origine bourgeoise une tendance à se garder prudemment des extrêmes. Sa nature d’esprit, son éducation, la voie qui lui était tracée par la position paternelle, ne lui permettaient pas de se ranger dans la première de ces trois classes : il s’en consolait en disant que si les chevaux courent après les bénéfices, ce sont les ânes qui les attrapent ; mais il était l’enfant de la bonne et riche bourgeoisie, et c’est, malgré une certaine ressemblance de gaieté et d’esprit, ce qui constitue une grande différence entre lui et Villon, qui touchait au peuple. Il ne lui fallait pas, comme à celui-ci, inventer les plus étranges expédiens et fouiller parfois dans les poches sans défiance, pour trouver les 20 sols que l’Université exigeait chaque année de ceux qui suivaient ses cours, et les 50 sols qu’ils devaient payer pour l’examen de licence. Le fils de maître Guillaume, conseiller de Reims, n’avait pas non plus, comme le pauvre Villon, besoin de vendre ses livres et ses robes fourrées de l’hiver, pour, au printemps, donner une aubade à sa belle. En outre Coquillart avait bien une imagination aussi vive, mais moins rêveuse, une nature plus positive et moins paresseuse. Il voyait devant lui sa carrière ; il n’était point mordu par cette mélancolie que donne l’incertitude de l’avenir, par le besoin de jouir d’une vie qui sera peut-être et si courte et si misérable. Quoiqu’il fût hors de la cité rémoise, il se sentait toujours tenu par cet amour de l’ordre, presque déjà classé dans cette forte hiérarchie qui faisait le bonheur de la bourgeoisie du moyen âge. Malgré les entraînemens, il s’arrêtait toujours à cette limite extrême et périlleuse où le plaisir cesse pour devenir la débauche irrémédiable et l’abandon de soi-même. Ainsi il connaissait bien ces insignes débauchés, Perrenet le Bâtard, Jehan le Loup, Chollet[1], qui savaient si adroitement voler les canards dans les fossés de Paris ; mais il n’était pas leur ami, il arrêtait sa camaraderie à Michault du Four, le prince des sots[2]. Il se sentait entraîné seulement vers ces gracieux galans que Villon devait suivre aussi aux temps de sa splendeur, danseurs, sauteurs, vifs comme dards, aigus comme aiguillons, gens d’esprit, « un petit estourdiz. » Rien ne nous prouve qu’il montrât un profond dégoût pour ces femmes galantes, ces grandes joncheresses, comme il les appellera, ces Parisiennes si subtiles et si vives langagières qui se tenaient aux portes des écoles ; il fera même plus tard le portrait le plus simple et le plus vrai de la grisette de Paris, — grosse, courte, bien entassée, avec la hanche bien troussée, le bec ouvert pour recevoir dons et baisers, pour dire aussi le gentil mot de gueule, l’œil comme taillé et lançant des étincelles ainsi qu’un diamant à facettes, toujours prête, avec son petit musequin éveillé, à chasser à la pipée, c’est-à-dire, à poursuivre de ses regards aigus tous ces gros niais chargés de bijoux et contrefaisant les gaillards à bonne fortune. — Toutefois il se gardait bien de se faire le compagnon de la belle Heaulmière. Sans doute aussi, comme Villon, il aimait, le soir venu, à aller voir en quelque église ces vives commères Le jeune étudiant rémois tenait de son origine bourgeoise une tendance à se garder prudemment des extrêmes. Sa nature d’esprit, son éducation, la voie qui lui était tracée par la position paternelle, ne lui permettaient pas de se ranger dans la première de ces trois classes : il s’en consolait en disant que si les chevaux courent après les bénéfices, ce sont les ânes qui les attrapent ; mais il était l’enfant de la bonne et riche bourgeoisie, et c’est, malgré une certaine ressemblance de gaieté et d’esprit, ce qui constitue une grande différence entre lui et Villon, qui touchait au peuple. Il ne lui fallait pas, comme à celui-ci, inventer les plus étranges expédiens et fouiller parfois dans les poches sans défiance, pour trouver les 20 sols que l’Université exigeait chaque année de ceux qui suivaient ses cours, et les 50 sols qu’ils devaient payer pour l’examen de licence. Le fils de maître Guillaume, conseiller de Reims, n’avait pas non plus, comme le pauvre Villon, besoin de vendre ses livres et ses robes fourrées de l’hiver, pour, au printemps, donner une aubade à sa belle. En outre Coquillart avait bien une imagination aussi vive, mais moins rêveuse, une nature plus positive et moins paresseuse. Il voyait devant lui sa carrière ; il n’était point mordu par cette mélancolie que donne l’incertitude de l’avenir, par le besoin de jouir d’une vie qui sera peut-être et si courte et si misérable. Quoiqu’il fût hors de la cité rémoise, il se sentait toujours tenu par cet amour de l’ordre, presque déjà classé dans cette forte hiérarchie qui faisait le bonheur de la bourgeoisie du moyen âge. Malgré les entraînemens, il s’arrêtait toujours à cette limite extrême et périlleuse où le plaisir cesse pour devenir la débauche irrémédiable et l’abandon de soi-même. Ainsi il connaissait bien ces insignes débauchés, Perrenet le Bâtard, Jehan le Loup, Chollet[3], qui savaient si adroitement voler les canards dans les fossés de Paris ; mais il n’était pas leur ami, il arrêtait sa camaraderie à Michault du Four, le prince des sots[4]. Il se sentait entraîné seulement vers ces gracieux galans que Villon devait suivre aussi aux temps de sa splendeur, danseurs, sauteurs, vifs comme dards, aigus comme aiguillons, gens d’esprit, « un petit estourdiz. » Rien ne nous prouve qu’il montrât un profond dégoût pour ces femmes galantes, ces grandes joncheresses, comme il les appellera, ces Parisiennes si subtiles et si vives langagières qui se tenaient aux portes des écoles ; il fera même plus tard le portrait le plus simple et le plus vrai de la grisette de Paris, — grosse, courte, bien entassée, avec la hanche bien troussée, le bec ouvert pour recevoir dons et baisers, pour dire aussi le gentil mot de gueule, l’œil comme taillé et lançant des étincelles ainsi qu’un diamant à facettes, toujours prête, avec son petit musequin éveillé, à chasser à la pipée, c’est-à-dire, à poursuivre de ses regards aigus tous ces gros mais chargés de bijoux et contrefaisant les gaillards à bonne fortune. — Toutefois il se gardait bien de se faire le compagnon de la belle Heaulmière. Sans doute aussi, comme Villon, il aimait, le soir venu, à aller voir en quelque église ces vives commères

  1. Voyez Œuvre de Villon, Petit Testament, huitains 23 et 24.
  2. Idem, Grand Testament, huitain 96.
  3. Voyez Œuvre de Villon, Petit Testament, huitains 23 et 24.
  4. Idem, Grand Testament, huitain 96.