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d’une oreille plus attentive tous ces proverbes à qui les gens de Reims donnaient de si vives et piquantes tournures, ces sobriquets qu’ils peignaient de si brillantes couleurs, tous ces caquets et commérages qui dans ces bouches friandes de mots gaillards devenaient de vrais petits drames, pleins de vie, de malice bourgeoise et de réalisme brutal. Ses fêtes à lui et sa véritable école, c’étaient ces jours des hautes féeries où le vieil esprit gaulois se réveillait, aiguisé et comme rafraîchi par le travail journalier et le silence des jours ouvrables. Il trouvait la ces noëls si naïfs où l’on maudissait la femme qui, « pour un morceau las ! si petit, » nous avait fait chasser du paradis, ces chansons champenoises, ces vieilles rimes de Gobin de Reims, de La Chèvre de Reims, dignes et grossiers jongleurs qui ne paraissent pas avoir rencontré dans leur ville natale ni ces pudiques pastourelles, ni ces solennels amours, que Thibaut de Champagne avait sans doute inventés. Il trouvait là enfin les ballades du grand poète Eustache Deschamps, non point sans doute celles qu’il avait composées sous l’influence des gens de cour, mais celles-là qui sortaient plus directement des vieilles traditions trouvères et des tendances primitives du génie champenois, la Chartre des Enfans de Vertus, les ballades de la Moustarde, sur le Bien d’Autrui, de l’Ordre du Cordier, contre les Mariniers, etc. Par-dessus tout régnait en grand triomphe le Roman de la Rose, qui concordait parfaitement avec les inclinations sceptiques du siècle et la position où était descendue la femme. Aussi était-ce un bonheur sans pareil quand, pour compléter une joyeuse veillée, on allait chercher, rue Saint-Pierre-le-Vieil, quelque ménétrier à longue mémoire, qui récitait, au milieu des éclats de rire, les fabliaux consacrés à la malice des femmes.

L’esprit de Coquillart dut être aussi singulièrement frappé par la vive allure de quelques personnages des mystères ; il n’oublia pas plus tard Espringallant, Jabot, Mammissart, Guilleri, jeunes galans de Jérusalem qui dansaient en bonne et gorgiase vesture avec Louppette, Argine, Agrippine et Delbora, jeunes beautés fringantes du même pays, tous chantant, sous les yeux paternels du bonhomme Caïphe, la ronde « hé vogue la galée ! »

Y avoit trois filles,
Toutes trois d’un grand,
Disoient l’une à l’aultre :
Je n’ay point d’amant.
Et hé ! hé !
Vogue la galée !
Donnez-lui du vent.

Cette poésie hébraïque jouissait d’une grande faveur auprès des bourgeois de Reims.

À ces premières années passées à Reims, où Coquillart, fit sans doute ses études de grammaire dans un des trois importans collèges, des Bons-Enfans, des Crevés ou de Saint-Denis, succéda le séjour de Paris, où les jeunes Rémois venaient alors étudier le droit, l’université de Reims n’ayant été reconstituée qu’un siècle plus tard. N’était-ce pas à Paris d’ailleurs, comme, disait Fazio degli Uberti, que les sciences sacrées et humaines chantaient nuit et jour de leurs voix divines ? Et puis, ce qui était beaucoup plus important, ne