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siècle, tantôt folle et joyeuse comme l’exaltation de l’époque, cette brutalité, c’est la source d’où sortent les deux plus originaux poètes de ce temps, Coquillart et Villon.

Coquillart naquit dans une de ces familles de la bourgeoisie qui étaient en chemin d’arriver sur le seuil de l’aristocratie municipale. Une ou deux générations de gens probes, économes, laborieux, l’avaient fait sortir de la classe des métiers ; une ou deux générations de gens habiles et intelligent allaient la pousser au conseil de ville, au chapitre ou à l’échevinage. Arrivée là, cette famille pouvait attendre la sanction du temps et de l’hérédité, continuer pendant plusieurs générations l’exercice des charges publiques, et par là s’inscrire à son tour dans le livre d’or de la bourgeoisie rémoise. — Ce livre n’était guère tenu que par l’opinion publique, mais il avait pour preuves authentiques et pour documens ineffaçables chacun des combats que la commune avait livrés à la féodalité. — La famille devenue illustre restait alors à la tête de la cité, gouvernant les affaires, soit indirectement par la richesse, les conseils, l’influence, soit directement par l’élection, qui ne l’eût jamais oubliée. C’eût été en effet l’annonce de quelque grand malheur aux yeux du populaire, s’il n’avait pas trouvé à l’échevinage. à la commission des fortifications, au conseil, quelqu’un de ces anciens, Grammaire, La Barbe, Bezannes, Montfaucon et autres, dont on trouvait les noms à côté de ceux des archevêques dans l’histoire communale, et qui depuis si longtemps s’étaient toujours tant travaillés pour le profit de la bonne ville. Alors on eût dit dans la cité les anciens Coquillart comme on disait dans les chroniques de France les anciens bannis, et ils fussent restés à la tête de quelqu’un des partis qui luttaient pour la direction politique ou administrative de la commune. Ou bien, s’ils préféraient décidément les étoiles de soie, de velours et les chaînes d’or aux draps de laine et aux bonnets fourrés, ils pouvaient chercher à couvrir leur grande bourgeoisie du manteau de petite noblesse, et saisir quelque occasion favorable, charges particulières, achat de terres nobles ou quelque exploit guerrier, pour entrer dans la classe nobiliaire. Toutefois il n’y avait guère que l’anoblissement par les charges qui fût désirable aux bourgeois de vieille race. Il était en effet la route naturelle, la seule qui permit de rester bourgeois tout en devenant noble, c’est-à-dire de conserver l’influence dans la cité. Celaient là les divers degrés que parcourait la bourgeoisie pour monter quelquefois, comme la famille rémoise des Colbert, jusqu’à une illustration historique, mais le plus souvent jusqu’aux plus puissantes positions municipales. C’était là que devait parvenir la famille Coquillart ; mais au moment où nous la prenons, dans la première moitié du XVe siècle, elle ne faisait qu’entrer dans la moyenne bourgeoisie.

Nous ne savons auquel de ses pieux ancêtres elle dut son nom[1], et nous avouons que malgré toutes nos recherches nous ne l’avons point rencontré avant 1438 dans aucun des actes de la ville. Peut-être après tout n’était-ce pas celui qu’elle avait porté jusque-là. Les nobles gardaient le nom de leurs aïeux parce qu’il était illustre ; les bourgeois, bien qu’ils eussent aussi leur noblesse et s’occupassent beaucoup de ce qu’on appelle aujourd’hui généalogie, changeaient leur nom à chaque génération, suivant le caprice d’un sobriquet ;

  1. Coquillart signifie porteur de coquilles, pèlerin.