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peuple admirait fort cet homme robuste, au front haut, aux lèvres fines, aux fières narines : il criait noël à ce teint brun, à ces moustaches noires, et il trouvait qu’il y avait dans ces yeux hardis quelque chose de riant, une apparence de bonhomie franche et joviale qui rachetait bien des crimes ; mais les gros bourgeois étaient blessés de voir cette pompe, tous ces insolens seigneurs si richement parés de drap d’or, de joyaux et de pierres fines qu’on ne savait d’abord où une telle richesse pouvait avoir été prise, puis ils se rappelaient bientôt que c’étaient eux et la France qui avaient payé toutes ces merveilles. Ils disaient de lui, avec haine, que c’était le chef de l’orgueil du monde ; mais toute la Champagne avait été remise aux Anglais, et les bourgeois de Reims devaient, pendant bien des années encore, subir la joug commun.

Ils tournèrent alors toute leur activité vers l’intérieur de la cité, et recommencèrent leur lutte habituelle contre messieurs du clergé, leurs vénérés seigneurs. C’était la querelle éternellement pendante, et au moindre mot de levée de deniers, de logemens de soldats ou de prise d’armes, on était sûr de voir les droits et usages féodaux, les exceptions et coutumes communales, entrer en champ-clos. Celles-ci, rendues ardentes et agressives par la vieillesse de leur ennemi, commençaient assez vigoureusement la guerre sous la conduite du sénat et du tribunal rémois, l’échevinage et le conseil ; mais les représentans de la commune s’arrêtaient avant d’en venir aux dernières extrémités, pour ne pas révolter la piété du menu peuple. Ils redoutaient aussi l’excommunication, qui eût bouleversé la cité, brisé le respect de la hiérarchie et fourni aux mauvaises gens des métiers une occasion de se faire juges du différend en pillant impartialement les hôtels des échevins et le cloître des chanoines. Cette crainte du commun peuple et des gens mécaniques était en somme le grand frein de la diplomatie bourgeoise. Toutefois ce frein ne l’arrêtait pas toujours, et au fond le clergé cédait fréquemment ; les temps étaient rudes, il craignait d’envenimer les haines, de perpétuer les discordes ; puis la guerre se rapprochait, il fallait alors chercher, comme il disait, toute manière d’avoir paix, amour et bonne union ensemble.

Ces petits événemens que nous venons de retracer, ces petits conflits d’intérêts municipaux, mêlés souvent de tant d’angoisses et de troubles, tel fut le milieu dans lequel se passa l’enfance de Coquillart ; ce furent ces exagérations fiévreuses de l’activité bourgeoise, cette vie toute portée aux choses extérieures et bruyantes de la cité qui lui donnèrent sa première éducation. Cette éducation par les événemens est incontestablement, dans les siècles agités et pour les natures impressionnables, celle à laquelle les biographes doivent accorder le plus d’attention. C’est elle en effet qui est l’éducation de l’instinct, elle qui forme ce qu’on appellera plus tard notre manière de voir. C’est elle aussi qui nous fournit les points de comparaison de nos jugemens, elle qui nous donne celles de nos idées sur lesquelles nous reviendrons le plus fréquemment, desquelles nous partirons comme point de départ pour former notre science, autour desquelles enfin nous viendrons rapporter toutes les observations et expériences que nous fournira l’avenir. Ce fut du moins le rôle que ces premiers événemens jouèrent dans l’intelligence du futur poète bourgeois. Du reste ils se prolongèrent pendant la première partie du siècle, et leurs conséquences dominent directement l’histoire de notre pays jusqu’aux guerres de religion : ils eurent donc le temps d’exercer toute