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un peu de cette fierté guerrière qui sert de répondant à l’habileté ; les marchands, le sens pratique des choses de la vie ; le clergé et les gens des métiers ; cette simplicité droite et cet amour spontané de la justice qui empêchent la diplomatie de descendre jusqu’à la maladresse de la duplicité.

Cette politique avait en résumé deux ennemis, le populaire et les sens d’armes, et deux préoccupations : garder ses privilèges et se réserver l’avenir. Elle s’efforçait d’esquiver d’une part cette domination des brutes, la dictature militaire, qui est le dernier mot de la guerre civile, — d’autre part, le règne de cette canaille sanglante, comme on disait alors, qui est la loi et la punition dernière des mouvemens populaires. Cette populace, qui régnait alors à Paris, avait à Reims bien des alliances et des élémens semblables à elle. C’était le bon temps pour les gens danoises et de brigues ; les petites corporations, les associations des métiers moins riches, moins productifs, partant plus populaires, commençaient à séparer leurs vœux et leurs tendances du gouvernement des hauts bourgeois, aristocratie devenue presque héréditaire, quoique procédant de l’élection. Aussi, quoique le conseil décrétât souvent : « écrire à ceux de Paris que la ville est fidèle, et de ce ne fassent aucun doute, » pourtant il se gardait bien de suivre leurs exemples. Il se contentait d’amuser le populaire en le réunissant souvent dans la cathédrale, en la grande chapelle des fonts-baptismaux, pour lui communiquer les nouvelles qui n’étaient un secret pour personne, pour lui demander son avis lorsqu’on le connaissait d’avance et dans les choses où il était indifférent d’agir en un sens ou en l’autre ; puis, dans les momens difficiles, il cédait en paroles ce qu’il reprenait en dessous. Le populaire restait donc en réalité sous la domination de la bourgeoisie ; mais celle-ci avait plus à faire contre les gens d’armes. C’était à grand’peine qu’elle pouvait rester maîtresse de son avenir, c’est-à-dire libre de disposer d’elle aux meilleures conditions, libre de se donner à celui des partis qui l’emporterait bien définitivement et qui conviendrait à ses instincts ainsi qu’à ses intérêts. Elle ne cédait qu’aux nécessités évidemment inévitables ; et ne, se livrait tout entière à personne.

La bourgeoisie avait cependant à lutter contre une politique aussi adroite que la sienne et de même famille, la politique du duc de Bourgogne ; en qui elle voulait bien voir un ami et un protecteur, mais un ami discret et un protecteur éloigné. Elle s’était jetée, il est vrai, dans son parti avec enthousiasme, mais c’était dans cette circonstance qu’on avait vu se développer curieusement et logiquement tous les ressorts de sa politique. Les gens de Reims savaient bien que les Bourguignons n’étaient pas plus compatissans ni chargés de moins de crimes que les Armagnacs. Ils savaient bien aussi que partout où l’influence bourguignonne s’était établie, elle avait jeté les villes dans la plus profonde terreur. Ils savaient tout cela ; tout cela courait dans les conversations de la cité : pourtant ils avaient pris avec grand enthousiasme la croix de Saint-André, en criant vive Bourgogne. Il y avait alors en effet répulsion générale, dans tout le nord, contre les croix blanches que portaient sur leurs étendards bleus à fleurs de lys d’or les Armagnacs partisans du Dauphin, et cette répulsion provenait surtout d’un mouvement d’antipathie instinctive. Les Armagnacs, gens du midi, paraissaient prendre leur revanche de la guerre des Albigeois. Ils ne pouvaient pas