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communale pendant ces troubles. Elle était devenue, comme la plupart des autres bonnes villes, une sorte de république municipale, tenant aux cités voisines, à la capitale et aux divers gouvernemens qui s’y succédaient, par les liens d’une fédération presque entièrement organisée. Le conseil de la ville, entre les mains duquel était à peu près remis le gouvernement de la commune, était dirigé indirectement par l’aristocratie bourgeoise, et à cette époque il n’eut pu choisir un meilleur guide. Celle-ci était restée dépositaire des traditions de la diplomatie communale, qui s’était développée au milieu des troubles du pays et qui nous offre un des plus curieux côtés de la vie de la France a cette époque. Cette diplomatie sui generis, portant le double cachet de la bourgeoisie et du moyen âge, agissait avec une bonhomie apparente, mais avec une flexibilité, une minutie et une patience irrésistibles. Aiguisée par de longues années de luttes contre la force féodale, raffinée encore par le caractère respectable et respecté qu’avait à Reims la féodalité représentée en grande partie par l’archevêque et les abbés des trois abbayes[1], elle montrait dans cette ville, au commencement du XVe siècle, les allures d’un procureur, mais d’un procureur consciencieux, respectueux et convaincu, c’est-à-dire à peu près invincible. Procédant avec la modération du bon droit, sans cesse aux aguets, profitant de toutes les circonstances heureuses avec la cauteleuse malice du paysan et l’hypocrite verbosité du marchand, elle ne reculait jamais. Elle posait prudemment pierre sur pierre, ne s’aventurait à une tentative hardie que quand les circonstances et les manœuvres souterraines avaient rendu le succès certain. Cependant elle avait aussi ses préjugés et ses faiblesses, et souvent quelque élan imprévu, folle imagination, instinct généreux ou entêtement invincible du populaire qu’elle gouvernait, venait bouleverser tout ce que la plus habile tactique avait préparé. Aussi, outre les leçons que lui donnaient ces traditions et cette diplomatie, le conseil de ville avait, pour se conduire, une sorte de politique d’instinct qui lui était particulièrement nécessaire en ce siècle, où toute règle se trouvait détruite, tout droit mis en question, où tout événement se présentait avec une face équivoque, à l’improviste et sous une formule menaçante. Cet instinct, né du mélange des divers élémens qui composaient le conseil, avait emprunté à chacun son côté caractéristique : les échevins et les practiciens, gens de loi, y avaient apporté l’adresse politique et la ruse ; les nobles,

  1. l’archevêché de Reims resta jusqu’à la révolution la première des six pairies ecclésiastiques de France, et pendant tout le moyen âge le pouvoir féodal demeura aux mains du clergé. Dans la cité rémoise proprement dit, ce pouvoir appartint directement à l’archevêque ; mais dans les bourgs voisins, qui se réunirent à la cité pour former la commune rémoise, les droits de la puissance féodale furent exercés par le chapitre, seigneur suzerain du bourg de Vesle, et par les abbayes de Saint-Remy, de Saint-Nicaise et de Saint-Denys. La première de ces abbayes possédait le bourg Saint-Remy, la deuxième était haute justicière du ban Saint-Sixte, la troisième exerçait sur le bourg Saint-Denys les droits de basse et moyenne justice. L’échevinage et le conseil de ville représentaient, mais à des titres divers, la bourgeoisie. Dans leur définition la plus simple, et dans le principe, ils étaient les délégués des corporations de la ville, les défenseurs des libertés et privilèges de ces corporations contre les empiétemens de la féodalité. Plus tard, l’échevinage et la féodalité eurent leurs entrées, leur part d’influence dans le conseil de ville.