Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A Varsovie, la diète se jeta avec un emportement insensé dans une voie d’opposition systématique qui devait singulièrement blesser un prince aussi absolu dans ses volontés que libéral jusqu’alors dans ses doctrines. À Saint-Pétersbourg, des mécontentemens particuliers firent éclater dans un des régimens de la garde une sédition qui n’avait certes aucun rapport avec les révoltes de la soldatesque espagnole ou napolitaine, et qui fut bientôt réprimée, mais qui ne pouvait manquer d’humilier, d’irriter, d’effrayer même un souverain habitué à compter avant tout sur la force et le dévouement de ses armées.

C’est sous l’influence de ces impressions que l’empereur de Russie arriva à Troppau. M. de Metternich profita avec une merveilleuse habileté de la disposition nouvelle où elles l’avaient jeté. La tâche que le ministre autrichien se proposait n’était rien moins qu’aisée. Des griefs personnels existaient depuis longtemps entre l’empereur et lui ; il fallait les effacer. Il fallait non-seulement changer les convictions déjà affaiblies qui avaient jusqu’alors dirigé la conduite d’Alexandre, mais lui en faciliter l’abandon en désintéressant son amour-propre, en lui ménageant la transition, en lui persuadant que, par des moyens nouveaux que rendaient nécessaires des circonstances nouvelles aussi, c’était toujours vers le même but qu’il marchait ; il fallait l’éloigner peu à peu de la France, vers laquelle se reportaient sans cesse ses penchans et ses souvenirs, en la lui montrant toujours dominée ou menacée par l’esprit révolutionnaire et gouvernée par des hommes qui manquaient de la résolution ou tout au moins de la force indispensable pour le combattre franchement. Il fallait enfin, au moment où le puissant souverain du Nord commençait à se détacher du grand but auquel il avait jusqu’alors aspiré, celui de faire prévaloir partout les principes et les institutions du libéralisme, lui en présenter un autre non moins propre à occuper et à remplir son imagination comme à satisfaire son orgueil et sa conscience, — la société européenne et chrétienne à sauver des attaques du jacobinisme par le sacrifice de tous les intérêts, de toutes les préventions, de tous les dissentimens. M. de Metternich, je le répète, fit preuve en cette conjoncture d’une prodigieuse habileté. Pour mieux réussir à changer les idées de l’empereur, il feignit de renoncer aux siennes. Il affecta de reconnaître humblement qu’Alexandre seul avait bien compris la situation, lorsqu’il avait proposé à ses alliés de se concerter sur les affaires d’Espagne, et que le cabinet de Vienne, en s’y refusant, avait commis une grande erreur.

Ces artifices obtinrent un plein succès. Vainement l’envoyé français, M. de La Ferronnays, essaya-t-il de les déjouer en rappelant les assurances si récemment données à son gouvernement ; M. de Metternich, puissamment aidé par M. de Nesselrode, qui commença