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de tous ces calculs ? Les ouvriers manquaient déjà ; le recrutement extraordinaire qu’exige l’armée va diminuer le nombre des hommes que l’industrie trouvait à enrôler. Le fer manque, et la réduction des droits sur les fers étrangers n’a donné qu’une satisfaction illusoire. Les machines manqueront à leur tour, et avant tout, ce personnel de mécaniciens qui est lent à se former, les pilotes de ces fleuves de rails, qui ont aussi leurs écueils signalés par plus d’un naufrage. Dans la conception de ces plans qui dévoraient l’espace et qui supprimaient le temps, l’on n’avait pas fait la part des circonstances perturbatrices ; aussi les causes de retard et de mécompte sont-elles partout.

En Angleterre, la spéculation a fait, pendant l’année 1853, des folies qu’elle expie en 1854. L’or de l’Australie, cet or qui enrayait quelques imaginations, est venu fort à propos au secours des embarras monétaires. Néanmoins le loyer des capitaux, par une dernière conséquence de la crise, y est encore assez élevé : la banque d’Angleterre tient le taux de l’escompte à 5 pour 100. Il est naturel que les peuples qui jouissent du self government ne s’instruisent qu’à l’école de leurs propres fautes ; mais chez nous et après la transformation qu’a subie le pouvoir, s’il prend l’initiative en toutes choses, on attend de lui qu’il ne laisse ni exagérer ni s’égarer l’action. Aussi. quand je vois M. le ministre des travaux publics, dans un rapport adressé à l’empereur, se féliciter de ce que l’exécution des 2,154 kilomètres de chemins de fer concédés par l’état en 1853 ne coûtera qu’un sacrifice de 39,300,000 fr., je ne puis m’empêcher de penser qu’il aurait rendu à l’état un plus grand service et qu’il aurait acquis une gloire plus réelle, si, prévoyant, comme il lui appartenait de le faire, la guerre qui s’amassait en Orient, il avait ajourné ou refusé la moitié de ces concessions.

Les dépenses des départemens et des villes sont une autre charge pour les finances, qu’il devient urgent de contenir dans des limites plus raisonnables. Les centimes départementaux et communaux, qui s’élevaient à 58 millions en 1830, à 114 millions en 1846 et à 132 millions en 1851, figurent au budget de cette année pour 140 millions. Ces dépenses, qui s’accroissent beaucoup plus vite que celles de l’état lui-même, absorbent déjà le tiers du produit des contributions directes ; c’est une somme presque égale au principal de la contribution foncière. Les autorités locales entrent ainsi, au-delà de ce que semble tolérer l’intérêt bien entendu des contribuables, en partage de la souveraineté qui appartient à l’état en matière d’impôt. Encore devrait-on ajouter à ce budget de 140 millions, pour donner une idée exacte des dépenses, les 80 et quelques millions que les villes retirent des octrois et le produit des emprunts contractés soit par les