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sa sœur, qu’il ne devait plus revoir. Voici ce qu’il écrivait à sa famille :


« Mon honneur et ma conscience me défendent de prêter un serment que le présent gouvernement exige pour m’obliger à servir. Mes occupations, mon âge, mes intérêts, m’ôtent désormais toute vocation pour le métier de soldat. Je trahirais la noblesse jusqu’ici intacte de mon caractère en jurant des choses que je ne pourrais tenir, et en me vendant à un gouvernement quelconque. Pour moi, je n’ai jamais entendu servir que l’Italie ; comme écrivain, je n’ai voulu être le partisan ni des Allemands, ni des Français, ni d’aucune autre nation. Mon frère est soldat, et, devant rester soldat, il a bien fait de jurer ; mais moi je suis homme de lettres, le plus libre et le plus indépendant des métiers, et quand il est vénal, il n’a plus de valeur. Si donc, ma chère mère, je m’exile et me confie comme un banni au ciel et à la fortune, tu ne peux, tu ne dois, tu ne voudras pas t’en plaindre, parce que toi-même m’as inspiré et fait sucer avec le lait ces généreux sentimens. Tu m’as plus d’une fois recommandé de les garder, et je les garderai certainement. Je ne suis pas un fils infidèle et dénaturé, si je t’abandonne ; quoique vivant plus loin de toi, je serai toujours plus près de toi par le cœur et par toutes mes pensées, et comme dans toutes les vicissitudes de ma fortune je fus toujours le même pour te venir en aide, je continuerai de même, ô ma mère, tant que j’aurai vie et souvenir. Cette résolution sainte et ta bénédiction m’assisteront… »


En mettant le pied hors de l’Italie, Foscolo termina pour ainsi dire sa carrière. Depuis ce jour, sans doute il rêva le retour dans sa patrie et la continuation de ses travaux, mais le songe qu’il rêvait reculait toujours devant lui. Faire des tragédies, traduire Homère, écrire l’histoire contemporaine de l’Italie, tels étaient les trois objets qu’il avait dans la pensée, et pour lesquels seulement il croyait utile de vivre ; malheureusement il était parti pauvre pour l’exil, et la nécessité de vivre le détourna toujours de ses chers projets. Il vécut dix-huit mois en Suisse, inquiété par la police des cantons, obligé de craindre tous les landammans, qui craignaient plus encore eux-mêmes le moindre des ambassadeurs. De Suisse, il passa en Angleterre en descendant le Rhin ; moitié par inquiétude, moitié par aversion, il ne voulait pas traverser la France. À Londres, il trouva cette liberté, qui lui avait toujours manqué, de dire et d’imprimer tout ce qu’il pensait ; mais quel usage en pouvait faire un proscrit sans fortune ? C’était déjà une grande entreprise de suffire à ses besoins dans une pareille ville. Il faut être riche à Londres pour être quelque chose, et par conséquent pour être libre ; là, le pauvre n’a qu’un seul droit, le droit à l’assistance ; là, la pauvreté dégrade, et sans l’argent la liberté n’est qu’une maladie. Les onze années que Foscolo passa en Angleterre ne furent qu’une longue expérience de cette condamnation unanime de la pauvreté.