Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/935

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lit la Lettre apologétique écrite à Londres par Foscolo une année avant sa mort et publiée seulement en 1844 à Lugano, quand on y ajoute la correspondance qui vient d’être donnée, tous les doutes disparaissent, et si l’on regrette que Foscolo ait fait trop de place dans son cœur à la misanthropie et au mépris, on reconnaît avec plaisir que sa mémoire est dignement vengée. Les généraux autrichiens, et parmi eux le comte de Ficquelmont, proposèrent à Foscolo d’établir un journal, pour concilier les esprits au gouvernement de leurs nouveaux maîtres. On peut pardonner à des généraux autrichiens d’avoir pensé qu’un homme de lettres qui s’était montré peu content sous le régime précédent serait facilement disposé à servir le nouveau ; d’ailleurs cet homme de lettres était officier, ce qui devait leur plaire ; mais ils avaient mal jugé Foscolo : ils n’avaient pas compris que les motifs de s’abstenir n’avaient fait que s’accroître pour lui. Ils ne voyaient pas que les exhortations à la paix, signées de Foscolo, paraîtraient des trahisons, et que chacun de ses articles de journal serait une apostasie ; que, s’ils voulaient perdre Foscolo lui-même, le moyen était bon, mais que s’ils avaient un autre but, ils ne l’atteindraient pas.

Tandis que cette affaire se traitait entre des généraux et un humble poète, une autre question s’agitait dans l’âme de Foscolo, ou plutôt tout était subordonné pour lui à cette question qu’il tenait secrète ; le moment approchait où il serait invité à prêter serment. Si le refus de serment est respectable, même quand la nation a prononcé, que faut-il en penser quand la souveraineté est le fruit d’une conquête et qu’on jure la foi entre les mains d’un étranger ? Foscolo, qui avait pu servir sous les aigles sans se lier par un serment, n’en voulait pas prêter à l’Autriche, et quand il l’aurait voulu, le pouvait-il faire sans justifier les calomnies ? Que diraient les poètes pensionnés et les hommes de lettres sénateurs d’autrefois ? Que diraient tous ces gens qu’il avait déchirés de ses sarcasmes ? Si Foscolo n’avait pas compté presque autant d’ennemis qu’il y avait de poètes à Milan, il pouvait donner sa démission en silence, il aurait trouvé où se réfugier ; mais il avait l’âme trop fière pour descendre à ces réconciliations si faciles entre mécontens. D’ailleurs le refus de serment n’était pas une simple démission, c’était un péril. Le poète fit de la diplomatie avec les généraux, traîna l’affaire du journal en longueur, feignit jusqu’à un certain point d’entrer dans les vues du gouvernement, parla de conditions qu’il savait ne pouvoir être acceptées, fit semblant de se résoudre au serment, commanda son habit d’uniforme autrichien, se fit prendre mesure, et enfin, ayant pris son temps, il partit un soir et traversa la frontière suisse. Il abandonnait son grade militaire, sa pension d’officier supérieur, son traitement de l’université, son propre patrimoine ; il abandonnait sa patrie, sa mère et