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l’avait chassé de Venise à Milan ; les coteries littéraires l’avaient contraint de fuir la Lombardie ; il habitait les rives de l’Arno, il s’était fait citoyen de Florence ; il faisait ses délices de la langue et de la prononciation toscane, et aussi de la société des belles Florentines (car il paraît, au moins par ses lettres, que Florence était toujours digne de Boccace et du Décaméron) ; il mettait son bonheur à devenir Florentin, lorsque les désastres de 1813 vinrent le tirer de sa retraite. Foscolo se souvint qu’il portait une épée ; il n’attendit pas qu’on le rappelât sous les drapeaux ; il vint se mettre à la disposition du ministre de la guerre à Milan. Comme toutes les âmes généreuses, il était plus fidèle à l’adversité qu’à la bonne fortune. Nous devons le dire, puisque c’est de l’histoire, Foscolo n’aimait pas Napoléon ; mais il n’était pas aveugle, et il avait le juste sentiment de ce que l’Italie devait à ce grand génie. Il ne voyait pas seulement les travaux accomplis, le commerce étendu, l’agriculture encouragée ; il ne voyait pas seulement la route du Simplon et 500 millions jetés en Italie : tout autre conquérant, puissant et riche, en aurait pu faire autant ; il voyait, et pour un homme qui ne recherchait ni ne voulait la faveur impériale, ce sera son honneur de l’avoir écrit partout, il voyait un royaume puissant fondé au cœur de l’Italie, gouverné avec des italiens, il voyait surtout une armée nationale formée dans un pays qui n’en avait pas eu depuis quatorze siècles ; il voyait six millions d’Italiens appelés sous un étendard qui ne leur était pas étranger, aguerris, exercés à défendre leur patrie, apprenant, chose, hélas ! bien nouvelle en Italie, à chérir un drapeau. Il le voyait, et la question de l’indépendance italienne lui semblait à moitié résolue. Sans doute il n’était qu’à moitié satisfait ; le professeur d’éloquence, redevenu capitaine de cavalerie, n’avait qu’un demi-dévouement ; il revenait au combat pour la cause de l’indépendance. Comme il voyait la mêlée recommencer, et qu’il devinait que tout allait être remis en question, il ne voulait pas que rien lut résolu sans lui ; il y allait pour le compte de l’Italie, et la cause de Napoléon ne lui devait pas grande reconnaissance. Néanmoins, outre qu’il était légitime à un Italien de tenir pour l’Italie, et que l’enfant de Zacynthe aurait pu dire comme Homère : « Le meilleur, l’unique parti est de combattre pour la patrie, » n’avait-il pas le mérite de comprendre que le sort de l’Italie était attaché à celui de l’empire, et qu’il fallait servir la cause générale, afin de sauver la cause particulière ? Foscolo remplit son devoir jusqu’à la fin ; officier, il vint se ranger sous le drapeau ; Italien, il ne crut pas que sa fidélité dût traverser les Alpes. Après la chute du royaume d’Italie, il voulut donner sa démission de capitaine ; la régence de Milan lui répondit par le brevet de chef d’escadron. Depuis ce jour jusqu’à son départ pour l’exil, il demeura spectateur des événemens,