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Quelques années plus tard, avec les révolutions survenues en Italie, les conditions du théâtre changèrent ; ces drames d’amateurs parurent librement devant le public. La gloire d’Alfieri en fut prodigieusement augmentée, mais la tragédie elle-même ne changea guère ; elle continua de marcher dans la voie ouverte par l’auteur de Philippe II, elle se ressouvint toujours de son origine et ne fit jamais oublier qu’elle était née dans les académies ; elle demeura philosophique, politique, oratoire, déclamatoire même, comme Alfieri l’avait faite. Les tragédies de Foscolo ne font pas exception à la règle. Il est bien au-dessous du maître de la tragédie italienne pour la composition de ses drames. Nous ne lui demandons pas le développement des passions qu’Alfieri lui-même ne connaissait pas, et qui est en quelque sorte impossible dans un système de tragédie tout oratoire ; mais il n’a pas non plus les situations tragiques, et Alfieri en avait beaucoup. La meilleure de ses pièces, Ricciarda, n’est que la perpétuité d’une même situation, un jeune prince caché dans la forteresse de son ennemi, près de la fille de cet homme implacable, qu’il voit en secret, sans espoir, et qu’il expose ainsi que lui-même à une mort certaine, si leur amour est découvert. Quand le père et l’amant se rencontrent enfin, ce qui était inévitable, la pièce est finie, car le père, n’ayant pas d’autre vengeance, poignarde sa fille, et l’amant ne parvient qu’à ce résultat, d’avoir causé la mort de celle qu’il aimait. Le mérite de cette pièce est tout entier dans le style ; il est fier, énergique, dantesque. On dirait que Foscolo et les poètes de cette école tragique ne songent pas à autre chose, et qu’assurés d’avoir des auditeurs, pourvu qu’ils remplissent leur esprit de nobles pensées et leurs oreilles de beau langage, ils se mettent en devoir d’entasser les beaux vers. Ils croient être assez tragiques, lorsqu’ils ont trouvé des traits de force et de vigueur ; aussi sont-ils les disciples fidèles de Dante ; ils imitent ses vers, comme au XVIe siècle on imitait ceux de Pétrarque. Naturellement la tragédie a retenu de son réformateur une tendance politique ; il est rare que la pensée générale de la pièce n’intéresse pas la gloire ou l’indépendance de l’Italie : si le poète n’est pas tribun, il est au moins orateur patriote ; le patriotisme est en quelque sorte une des conditions du genre. On conçoit aisément quelle puissance la tragédie doit tirer de cette espèce de privilège ; elle reprend de ce côté une vitalité qui lui manquerait de l’autre. Les règles éternelles de l’art en souffrent sans doute ; mais il y a une force magique dans la pensée d’un peuple qui se reconnaît elle-même en présence d’une œuvre littéraire, et c’est plus qu’il n’en faut pour faire vivre la tragédie italienne.

Ricciarda, peinture des divisions et des guerres civiles de l’Italie au moyen âge, était un appel à la nation tout entière, un tableau de