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renoncé à une pension qu’il recevait comme ancien professeur à l’université de Pavie. Enfant de la Grèce, fils adoptif de l’Italie, il habite dans des montagnes couvertes de neige, cache dans une chambre pauvrement garnie, qu’il loue à un pasteur protestant non moins pauvre. Il souffre du froid et de la faim, parce que l’ordinaire de la table où il est admis répugne à son estomac méridional. Dans un moment de gêne excessive, il court à pied, sous la neige et dans les glaces, jusqu’à une ville, pour y vendre sa montre et ne pas dévoiler à ceux qui vivent autour de lui son indigence, qui n’est que trop honorable. Toutes ces misères, il les endure pour une noble cause ; une noble espérance le soutient ; il attend le moment de passer en Angleterre, où il trouvera un peuple généreux, des lois protectrices, un présent sans inquiétude, en attendant l’avenir. Comment se fait-il que le courage même qui l’a fait marcher au-devant de ces maux, qui le rend capable de les supporter, lui fasse défaut quand il s’agit de résister à une faiblesse de cœur ?

Un jeune banquier de Zurich était venu passer l’été à Hottingen, dans la commune où résidait le poète ; il voyait souvent Foscolo, et prenait de lui des leçons d’italien, leçons d’ami. Il invita Foscolo à venir voir sa femme ; l’auteur de Jacques Ortis, qui n’était pas si préoccupé d’idées politiques qu’il n’eût remarqué le peu de beauté des dames de Zurich, leur cou goitreux et leur bouche dégarnie, se rendit un soir, sans défiance, chez cette jeune femme, qu’il a peinte assez maigre, d’une beauté fort médiocre, mais remplie de grâce, avec des yeux petits, mais noirs et parlans, et des cheveux d’un blond italien. Son premier mouvement fut de ne pas s’engager dans cette connaissance nouvelle, ce qui ne l’empêcha pas d’observer, dès le premier abord, qu’elle était plus vive que les Allemandes n’ont coutume d’être, qu’elle était fort élégante pour une femme de Zurich, et qu’elle aimait à s’entretenir d’histoires amoureuses et de galanterie. Ces observations donnaient bien lieu de croire qu’il ne suivrait pas son premier mouvement. Au bout d’un petit nombre de visites, il s’aperçut qu’il lui parlait comme un homme qui serait capable de l’aimer, et qu’elle lui répondait comme une femme qui serait capable de l’écouter. Les aveux succédèrent assez promptement à ces signes d’intelligence ; les lettres succédèrent aux aveux, et elles commencèrent du fait de la belle Zuriquoise. Après les lettres vinrent les résolutions insensées, les projets de fuite et d’enlèvement. Le poète eut le mérite de résister à la tentation, sans doute il se souvint à temps de son stoïcisme ; mais il fit deux fautes : la première de ne pas fuir, la seconde de moraliser en pure perte. Cette belle passionnée recevait des leçons d’italien d’un jeune Toscan ; ces leçons étaient payées, et peut-être pour cela même et par excès de conscience, elles duraient