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cette révolution, qui ne se produisit pas instantanément, mais qui de prime abord se laissa entrevoir, fut de faire passer dans l’ordre des faits ce que le congrès d’Aix-la-Chapelle avait posé en principe, — l’admission de la France au nombre des grands états appelés à délibérer sur tous les intérêts principaux de l’Europe. Il était évident en effet qu’à raison de la position topographique de l’Espagne, aucune mesure ne pourrait être prise à l’égard de ce pays sans la participation du gouvernement français.

Par un de ces pressentimens qui bien souvent devancent la réalité, que les politiques à vue courte repoussent avec dédain, mais que l’événement finit par justifier parce qu’ils sont fondés sur une appréciation instinctive de la nature des choses, le public comprit dès le premier moment que la France était destinée à devenir l’adversaire du nouveau régime établi à Madrid, et l’Angleterre à en être la protectrice. Rien pourtant dans les dispositions des deux cabinets ne semblait encore justifier cette prévision. Le ministère sincèrement constitutionnel qui gouvernait la France, loin de vouloir restaurer le despotisme qui venait de succomber au-delà des Pyrénées, n’aspirait qu’à voir la révolution se modérer, se réformer elle-même par des moyens pacifiques et réguliers, qui donnassent des garanties aux libertés publiques comme à la dignité royale. Tous ses conseils étaient dirigés dans ce sens ; malheureusement ces conseils ne plaisaient ni à un roi uniquement désireux de recouvrer sa toute-puissance, ni à des partis passionnés et défians, et les constitutionnels exaltés les repoussaient comme une inspiration de l’absolutisme, tandis que les libéraux plus sages n’avaient pas le courage de les accepter. De son côté, le cabinet tory qui gouvernait l’Angleterre n’avait certes pas applaudi à la résurrection de la folle constitution de 1812, il s’étonnait des accusations qui le présentaient comme ayant contribué à la rétablir et de la créance qu’elles paraissaient trouver à Paris ; mais en même temps qu’il s’indignait de cette injustice, sa jalousie naturelle de tout ce qui pouvait rendre quelque action à la France, surtout dans la Péninsule, le portait à accueillir lui-même les bruits répandus sur les prétendues manœuvres dirigées par la cour des Tuileries contre les libertés castillanes. Il devenait ainsi, presque sans s’en apercevoir, le confident, l’allié des révolutionnaires espagnols, de même que le gouvernement français, malgré ses protestations alors parfaitement sincères, commençait à apparaître aux absolutistes comme un auxiliaire et un libérateur. Ce n’étaient encore que des symptômes et des apparences ; mais que la révolution victorieuse fît de nouveaux progrès dans la voie du jacobinisme, que la conduite des affaires étrangères de l’Angleterre passât dans les mains d’un homme d’état moins conservateur que lord Castlereagh, que les ministres français cédassent la place aux chefs du parti ultra-royaliste, qui se