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de cette illusion, la vie de Foscolo prenait un faux air de roman, et il était livré au mélodrame. Tout était fatal dans son existence, tout était mauvaise fortune, tout était péripéties. Aujourd’hui l’auteur de Jacques Ortis roulait sur l’or, il triomphait dans un boudoir somptueux et vivait dans un palais ; demain il était pauvre et manquait de pain. Ce Foscolo théâtral, il faut le confesser, c’est chez nous surtout qu’il a pris naissance ; assurément rien n’est moins italien qu’une telle figure. Le mauvais goût du temps n’est pas le seul coupable de ce Foscolo apocryphe. Le malheureux et malgré ses fautes le noble poète avait beaucoup d’ennemis ou de rivaux. La première biographie qui fut donnée de lui, celle de Pecchio, ne paraît pas avoir été fort exacte : la protestation chaleureuse du frère de Foscolo, revenu d’une sorte d’exil au fond de la Hongrie six ans après cette publication, le travail consciencieux et estimé du poète Luigi Carrer, enfin le recueil complet de la correspondance et des écrits inédits, semblent démontrer qu’il y avait dans ce récit primitif quelque chose de plus que des erreurs et des méprises. Par une étrange préoccupation, nous avons peut-être fait une matière de gloire à Foscolo de ce qui était exagéré ou travesti pour lui faire du tort ; tandis que son frère ou ses amis réclamaient contre tel ou tel trait qu’ils accusaient de médisance ou de calomnie, nous le retenions avec soin, pour en parer notre Foscolo particulier.

Le vrai Foscolo, ce n’est pas nous qui prétendons l’avoir découvert : il est dans sa correspondance ; il tient un peu de l’une et de l’autre figure qu’on en a faite (le faux qu’on propose au jugement du public touche toujours au vrai par quelque côté, c’est un vrai apparent). Il y a quelquefois en lui la conviction indomptable qui sacrifie fortune et espérances d’avenir à un principe, quelquefois aussi la passion fougueuse qui se plaît au désordre, jouit du scandale et fait parade des faiblesses ; mais il n’a ni la grandeur stoïque du premier type, ni la fausse et malsaine grandeur du second. Par quelque biais que l’on regarde Foscolo, dans ses œuvres comme dans sa vie, c’est un génie et un caractère incomplet. On ne peut lui contester un air de famille avec les caractères antiques ; pour demeurer fidèle à son drapeau, il refusa des moyens faciles de s’enrichir, perdit son propre patrimoine, renonça aux plus douces habitudes de sa vie, quitta sa patrie, sa famille, sa vieille mère, et si l’on peut encore ajouter quelque chose après cela, ses livres même et ses études chéries. Il y avait dans son âme quelques traits qui étaient du stoïcien. Sa philosophie, presque absolument profane et païenne, était puisée aux leçons des anciens ; Caton était la plus pure et la plus vive de ses admirations ; au milieu de l’indifférence et de l’épicuréisme général, il professait l’activité politique des stoïciens et le devoir de se