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le plan du nouveau territoire, avec une instruction qui fixait la redevance dont la commune allait être chargée pour ce terrain. Ainsi non-seulement ils n’entraient pas en possession de leurs terres, mais on prélevait sur eux un impôt ; ils se refusèrent à le payer. L’ispravnik annonça ce refus au gouverneur. Celui-ci expédia sur les lieux un détachement commandé par le maître de police. On arrêta quelques hommes, on les fouetta, et le calme se rétablit dans la commune. »

De tels faits donnent une triste idée de l’administration des provinces lointaines de la Russie ; mais nous ne voulons pas prolonger cette énumération d’exemples trop significatifs. Le séjour de M. Hertzen à Viatka touche à sa fin. Deux incidens méritent seuls d’être cités encore parmi ceux qui se rattachent à ces jours d’exil : nous voulons parler du voyage du grand-duc héritier et de la destitution du gouverneur Tioufaïef. La nouvelle du voyage princier mit, comme on pense, le gouverneur en émoi. Il prit les dispositions les plus ridicules du monde : il ordonna aux paysans des villages qui se trouvaient sur la route de mettre leurs habits de fête, prescrivit aux autorités municipales de faire badigeonner toutes les clôtures et d’inspecter les trottoirs ; le gouverneur imagina même de changer l’époque d’une fête religieuse et populaire pour la faire coïncider avec le voyage du prince. Ici d’ailleurs il faut laisser parler M. Hertzen :

« À cinquante verstes de Viatka est un lieu où parut jadis aux Novgorodiens l’image miraculeuse de saint Nicolas. L’histoire de cette image est curieuse. Lorsque les Novgorodiens vinrent s’établir à Viatka en 1181, ils y portèrent cette image ; mais elle disparut pendant quelques jours, et ne fut retrouvée que sur le bord de la rivière où on l’avait découverte une première fois. Les Novgorodiens la reportèrent dans la ville, mais ils s’engagèrent, dans le cas où elle ne les quitterait plus, à la promener annuellement, le 23 mai, en grande procession, sur les bords de la rivière. C’est la plus grande fête qu’il y ait dans le gouvernement de Viatka. L’image miraculeuse est expédiée la veille dans une barque magnifiquement ornée ; elle est accompagnée de l’archevêque, suivi de tout le clergé. Des centaines de bateaux et de barques de toute espèce suivent cette procession ; elles sont remplies jusqu’aux bords de bourgeois, de paysans et paysannes russes ou votiaks en costume de fête. La barque du gouvernement est en tête ; on la reconnaît au drap écarlate dont elle est tapissée. Ce spectacle a quelque chose de sauvage, mais il n’est pas sans charme. Plus de dix mille hommes des autres districts du gouvernement attendent, campés autour d’un monastère, l’arrivée de l’image. Ce qui est étrange, c’est qu’une foule de Votiaks, de Tcheremisses païens, même beaucoup de Tatars du pays, s’y rendent également.