Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/891

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nommé Pétrovski. Celui-ci, ennuyé des plaisanteries dont il était l’objet, menaça un jour sa sœur d’écrire à Pétersbourg. Cette imprudente sortie amena son arrestation. Présenté au tribunal du gouvernement comme un homme qui avait subitement perdu l’esprit, il fut jeté dans une maison de fous d’après l’avis même de l’inspecteur des institutions médicales du gouvernement. Cependant un autre médecin, consulté plus tard, déclara formellement que Pétrovski avait toute sa raison. Le tribunal dut alors exiger une nouvelle enquête ; seulement cette précaution devint inutile, car Pétrovski, bien que jeune et d’une excellente santé, mourut à la maison des fous avant l’époque assignée pour l’accomplissement des ordres du tribunal. La nouvelle de ces faits scandaleux s’étant répandue à Pétersbourg, on arrêta la sœur de Pétrovski, et on commença une instruction secrète ; mais Tioufaïef imagina, heureusement pour lui, de dicter à la prévenue les réponses qu’elle devait faire ; il se surpassa. Afin d’éviter un second voyage en Sibérie, il recommanda à cette femme d’insinuer que son frère la persécutait depuis le jour où, jeune et sans expérience encore, elle avait manqué pour la première fois à ses devoirs pendant une visite de l’empereur Alexandre à Perm. Cinq mille roubles de gratification lui auraient même été remis à cette occasion par le général Salomka. La vie privée de l’empereur Alexandre n’offrait que trop de prise à des insinuations pareilles. Comment d’ailleurs contrôler cette audacieuse assertion sans scandale ? Lorsque le comte Benkendorf interrogea sur ce point le général Salomka, celui-ci répondit qu’il lui était passé tant d’argent entre les mains, qu’il ne pouvait se rappeler s’il avait ou non payé la somme en question. L’affaire en resta là, et Tioufaïef, assuré de l’impunité, continua de gouverner à sa façon les habitans de Viatka.

Tel était l’homme chargé d’initier M. Hertzen au service administratif. On comprend que les rapports du jeune exilé avec le gouverneur furent des moins intimes, bien qu’un mot de ce haut fonctionnaire au ministre eût suffi pour le faire expédier au fond de la Sibérie. Tioufaïef pouvait même se dispenser de réclamer pour une pareille mesure la sanction ministérielle. Un gouverneur fixe à volonté en Russie la résidence des condamnés politiques retenus dans les limites du territoire qu’il administre. C’est ainsi qu’un prince Dolgorouki avait été subitement expédié de Perm à Verkhotourié, ville située à cinq cents verstes plus loin vers le nord, et le portrait de ce seigneur, tel que le trace M. Hertzen, n’est pas indigne de figurer à côté de celui du gouverneur Tioufaïef.

« Le prince Dolgourouki appartenait à la classe des aristocrates viveurs de la pire espèce. Il avait fait folies sur folies à Pétersbourg, à Moscou et à Paris même. C’était un homme gâté par la fortune,