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autant qu’à la justice, mais conformes, ne fût-ce qu’en apparence, aux intérêts et aux préjugés du pays.

Cependant le gouvernement français, appuyé par les vœux de tous les autres gouvernemens, poursuivait contre l’opposition libérale et l’opposition révolutionnaire, désormais coalisées, une lutte dont le résultat semblait encore fort douteux. De part et d’autre, l’attitude et le langage avaient atteint le dernier degré de violence. On se croyait arrivé à un de ces momens de crise qui décident du sort des sociétés. Le duc de Richelieu écrivait à lord Castlereagh : « Il s’agit de la cause la plus sainte, celle de l’ordre social et de l’humanité, et cette grande considération est bien faite pour donner du courage. Nous sommes tous plus ou moins sur la brèche, milord, et je ne vois plus pour les nations comme pour les gouvernemens qu’un grand intérêt qui leur est commun à tous, celui de s’opposer à l’invasion de l’anarchie, qui s’avance pour détruire la civilisation. Si, comme je l’espère, les grandes puissances restent étroitement unies, il y a encore des ressources, et j’espère que nous ne succomberons pas dans la lutte que nous soutenons. »

J’ai déjà dit que la réforme de la législation électorale était le champ de bataille sur lequel devait se livrer le combat décisif. L’Europe entière attendait avec anxiété l’issue de ce combat, qui occupa tout le mois de juin 1820. La chambre des députés était partagée en deux camps presque absolument égaux. Après de prodigieux efforts d’éloquence, après de nombreuses péripéties mêlées de ce qu’on aurait pu appeler des émeutes parlementaires auxquelles répondaient du dehors des émeutes d’étudians et d’ouvriers qu’il fallut réprimer par l’emploi de la force, une sorte de compromis termina enfin la bataille des élections, nom qu’on donna alors, non sans raison, à cette grande crise. Le ministère, qui une fois déjà avait changé son premier projet, consentit encore à abandonner celui qui rencontrait une si vive résistance, et les doctrinaires, se séparant de leurs dangereux alliés, assurèrent par leur concours l’adoption d’une loi qui, dans leur manière de voir, laissait des chances d’avenir à l’opinion libérale, bien qu’elle donnât de grands avantages au parti opposé et qu’elle lui ménageât pour le moment un triomphe à peu près certain. Les révolutionnaires, voyant ainsi échapper de leurs mains l’arme avec laquelle ils avaient cru pouvoir préparer légalement la chute du trône, recoururent à d’autres moyens. Une conspiration militaire, qui avait des ramifications dans la garde royale et qui comptait des adhérens dans les hauts rangs de l’armée, fut découverte au moment où elle allait éclater. Les accusés furent traduits devant la cour des pairs, qui, après une longue procédure, mit en liberté la plupart d’entre eux, et ne prononça contre les autres que