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Sir Charles Stuart n’avait nulle envie, pour employer ses expressions, d’aller planter ses choux à quarante ans. Dans deux lettres confidentielles qu’il écrivit à lord Castlereagh, il essaya de se justifier. Il parla de tous les efforts qu’il avait faits pour rester en harmonie avec les représentans des autres cours. Il s’attacha à établir que ses dissentimens avec le général Pozzo n’avaient jamais eu la gravité qu’on supposait, et que même, depuis l’année précédente, ils avaient presque cessé. Il atténua autant que possible l’intimité de sa liaison avec M. Decazes, donnant à entendre que ce ministre avait bien pu chercher à en exagérer l’apparence, pour se faire une arme contre ses nombreux adversaires de l’approbation et de l’appui du gouvernement anglais. Il protesta qu’il avait toujours considéré comme un de ses premiers devoirs celui de rester en dehors des partis qui divisaient la France, et d’appuyer également tous les ministres appelés par la confiance du roi. Il raconta enfin qu’au moment de la retraite de M. Decazes, il l’avait prié d’informer M. de Richelieu de son intention d’entretenir avec le nouveau cabinet les relations les plus cordiales, que malheureusement M. Decazes, malade ou distrait par d’autres préoccupations, avait négligé de s’acquitter de cette commission, que cet oubli n’avait pas peu contribué aux fâcheux malentendus qui avaient eu lieu, mais que maintenant tout était expliqué, et que M. de Richelieu se montrait pleinement satisfait. On voit que sir Charles Stuart tenait beaucoup à conserver sa position diplomatique, et que tous les argumens lui semblaient bons pour atteindre ce but. Ses efforts ne furent pas infructueux. Non-seulement il ne fut pas rappelé dans le courant de l’été suivant, mais il conserva son ambassade pendant dix ans encore, sauf une courte interruption, — et le gouvernement français n’eut pas toujours à s’en féliciter.

Ce qui m’a engagé à m’étendre sur cet incident, c’est que les procédés de sir Charles caractérisent assez bien l’attitude que prennent trop souvent les agens britanniques dans les pays que leur situation intérieure expose à subir l’intervention de l’étranger, c’est que l’action personnelle et passionnée qu’il s’arrogeait, quoi qu’il en pût dire, en dépit des intentions de son gouvernement, est un fait peu rare dans la diplomatie anglaise, A tort ou à raison, on a quelquefois reproché à d’autres gouvernemens de ne pas soutenir suffisamment leurs agens compromis dans des entreprises difficiles et délicates, on le leur a imputé à faiblesse. L’Angleterre a d’habitude un tort tout opposé, mais qui, à mon avis, n’est pas, à beaucoup près, une preuve d’énergie : elle ne sait pas désavouer ceux de ses envoyés qui, sans instructions et par la seule impulsion d’un zèle exagéré, se sont jetés dans des tentatives contraires à la politique