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tatives révolutionnaires. M. Hertzen n’a au fond rien de commun avec Silvio Pellico. S’il sait rester impartial en retraçant de pénibles souvenirs, il n’abdique ni les doctrines du jeune hégélien ni les convictions du publiciste radical ; ce qui arrête sur ses lèvres les récriminations stériles et les paroles amères, c’est le bizarre prestige qui s’est attaché de tout temps aux souffrances, aux luttes du début de la vie. Écoutons-le plutôt expliquer dans sa préface le sentiment auquel il a obéi en interrogeant ainsi sa mémoire sur les premières souffrances de sa jeunesse.

« À la fin de l’année 1852, je me trouvais dans les environs de Londres, séparé du reste de l’univers par l’espace et le brouillard. Je n’avais auprès de moi personne qui me fut cher : tous ceux que je voyais ne s’occupaient que d’intérêts généraux ; le sujet de leurs méditations était pour ainsi dire impersonnel. Les mois s’écoulaient, et je cherchais en vain quelqu’un à qui dire un mot sur ce que j’avais dans le cœur… Et cependant je me remettais à peine d’une longue suite d’événemens affreux. L’histoire des dernières années de ma vie s’offrait à moi dans ses moindres circonstances, et je songeai non sans regret qu’elle allait s’éteindre avec moi. Cette pensée me décida à prendre la plume ; mais un souvenir en évoquait mille autres depuis longtemps perdus, les illusions du jeune cage, les chimères de l’adolescence, l’audace de la jeunesse, enfin… la prison et l’exil ! Toutes ces premières émotions qui ne laissent aucune amertume dans le cœur, orages salutaires qui fortifient et rafraîchissent les aspirations de la vie, se ranimaient en moi tandis que je me livrais à ces douces méditations. Je n’eus point le courage de chasser toutes ces ombres ; je me mis à l’œuvre, et durant le mois que je passai à écrire mes mémoires, je me sentis plus calme. »

Nous n’ajouterons rien à ces paroles. Elles indiquent comment il faut interpréter la modération de l’auteur. Ce n’est point un conspirateur vaincu et repentant que nous allons entendre ; c’est un écrivain chez qui l’ardeur révolutionnaire se modère, mais en persistant, et si M. Hertzen mérite d’intéresser ceux mêmes qui comme nous sont loin de partager ses doctrines politiques, c’est que ce rôle de rapporteur calme et sévère est celui que la Russie aurait intérêt à trouver plus souvent rempli vis-à-vis d’elle-même. On en jugera par ce livre tel que nous allons le faire connaître sans craindre de substituer souvent les citations à l’analyse, et en plaçant sous les yeux du lecteur moins une appréciation critique que le récit de l’écrivain russe, réduit à ses épisodes les plus significatifs.

On peut distinguer trois époques, trois actes en quelque sorte dans ce drame de la captivité que le livre de M. Hertzen nous déroule un peu minutieusement scène par scène : il y a l’arrestation et l’em-