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pas aussitôt à réformer despotiquement la société. Il y a des phalanstères, personne ne s’en occupe, sauf ceux qui y vivent, et tout se borne là. Mlle Bremer peint avec un singulier intérêt cette existence des États-Unis dans un livre qui vient d’être traduit par Mlle Du Puget, la Vie de famille dans le Nouveau-Monde.

Mlle Bremer a visité successivement les diverses parties des États-Unis, New-York et Boston, Charleston et Savannah. Elle s’est arrêtée partout, observant d’un regard curieux et cherchant à pénétrer le mystère de cette civilisation dans l’enfantement. Le mérite du livre qui a été le fruit de ces observations, c’est qu’il décrit le côté le moins connu de la vie américaine, le côté intime, les mœurs, les hommes, les diverses nuances sociales qui passent sous les yeux de l’auteur. Mlle Bremer ne parle ni de la constitution américaine, ni du congrès, ni de l’administration, ni de tous ces appareils extérieurs et souvent artificiels de l’existence d’un peuple ; elle fait mieux : elle entre dans le foyer domestique. Reçue partout avec empressement, elle voit se dérouler toutes les scènes intérieures des familles américaines, et c’est là qu’éclate l’originalité de cette forte et étrange race. Les ménages du Massachusetts, la position de la femme dans la société américaine, les usages du monde, les ridicules, les goûts, les excentricités, rien de tout cela n’échappe à l’observation de la voyageuse. Une des plus curieuses parties du livre de Mlle Bremer est celle qui traite de la littérature des États-Unis. Ce n’est point une analyse critique : par la lecture de ce livre, on ne connaît même pas beaucoup plus les œuvres de la littérature américaine ; mais on connaît les hommes, Longfellow, Lowell, Emerson, Channing. On est transporté dans ce foyer intelligent du Massachusetts, à Boston, où vivent tous ces hommes. Suivez Mlle Bremer à Concord ; vous trouverez Ralph-Waldo Emerson, le premier des écrivains américains. Celle vie littéraire est du reste très différente de la vie littéraire en France ; elle se ressent de cette liberté universelle, de cette décentralisation universelle, pourrait-on dire, qui règne aux États-Unis dans le domaine intellectuel comme dans le domaine politique. C’est en observant, en décrivant tous ces traits de l’existence américaine, que l’auteur de la Vie de famille dans le Nouveau-Monde a réussi à faire de ses lettres de voyage une révélation attrayante et instructive des choses de l’Amérique. Elle ne se tait, par reconnaissance sans doute, que sur les défauts du caractère américain.

Les États-Unis célébraient, le mois dernier, le soixante-dix-huitième anniversaire de la proclamation de leur indépendance, date mémorable dans leur vie politique. Certes, s’il est une race qui puisse avoir l’orgueil de ses œuvres et de ses progrès, c’est bien cette race anglo-américaine qui commençait si humblement, le 4 juillet 1776, en formant une nationalité nouvelle, et qui en moins d’un siècle a atteint le degré de grandeur où elle est. L’Union américaine, quand elle se constitua, se composait de treize états, elle en compte trente et un aujourd’hui ; elle avait une population de trois millions d’âmes, qui s’élève maintenant à vingt-cinq millions ; elle était pauvre et sans commerce, elle occupe désormais un des premiers rangs dans le mouvement commercial du monde. Elle a vu des villes naître là où il y avait le désert, l’industrie transformer son sol, les populations de toutes les contrées