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de génie, s’est-il résigné à consulter chaque jour Mme du Cayla ? C’est qu’en entrant au ministère, il avait fait bon marché de sa dignité. Résolu à combattre le parti du clergé, il avait pourtant accepté son appui. Or Mme du Cayla connaissait aussi bien les prétentions de l’église que les prétentions des émigrés, et M. de Villèle trouvait dans son entretien des argumens contre ses alliés. Le pouvoir acheté à ce prix n’a pas de quoi flatter l’orgueil : gouverner dans de telles conditions, est-ce vraiment gouverner ? Tout en reconnaissant que M. de Villèle a contenu pendant quelques années les prétentions de l’église et de l’émigration, je ne puis voir en lui un grand homme d’état. S’il eût été profondément pénétré de ses devoirs politiques, il n’aurait pas accepté l’appui de l’église : se servir d’un allié qu’on est résolu a combattre, quelle preuve d’habileté ! Ou le gouvernement représentatif est un non-sens, ou il répudie l’emploi de tels moyens. M. de Villèle ne gardera pas dans l’histoire les proportions que M. de Lamartine a voulu lui donner. C’est un homme d’affaires qui a fait preuve en mainte occasion de souplesse et de prévoyance ; mais la ruse et la duplicité ont tenu trop de place dans sa vie pour qu’il prenne rang parmi les grands hommes d’état.

Je m’étonne que M. de Lamartine, qui a vécu si longtemps au milieu des luttes parlementaires, qui a remporté à la tribune tant de victoires éclatantes, consente à louer si vivement une nature qui s’accorde si peu avec la sienne. Il faut sans doute expliquer cette complaisance par les souvenirs de jeunesse ; mais en pareil cas l’explication n’est pas une excuse. M. de Lamartine est un des enfans gâtés de la restauration. Très jeune encore, il a trouvé dans les salons de l’aristocratie des applaudissemens et des louanges qu’il n’a pu oublier. Ces applaudissemens étaient légitimes, ces louanges étaient méritées, ce n’est pas moi qui songe a le contester ; je regrette seulement que le souvenir des salons de la restauration ait rendu l’historien trop indulgent pour M. de Villèle. Le poète, enivré d’éloges par l’aristocratie, n’a pas voulu croire qu’une société si pleine de respect et d’enthousiasme pour le génie ait pu être gouvernée si longtemps par un homme de second ordre. En rapetissant M. de Villèle, c’est-à-dire en lui laissant les proportions qu’il gardera dans l’histoire, il aurait cru se rapetisser lui-même et dépouiller de tout prestige les plus belles années de sa jeunesse.

Chose étrange ! M. de Lamartine a prouvé maintes fois qu’il est animé de sentimens libéraux, et pourtant ce qui manque à l’histoire des premières années de la restauration, c’est le souffle de 89. Si l’on ne juge pas ces premières années au nom de la constituante, il faut renoncer à les juger. Louis XVIII, bien qu’il eût octroyé une