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n’a pas de peine à rencontrer l’éloquence. Il faut lire dans ces pages douloureuses le retour de Napoléon à Paris après la bataille de Waterloo, et son entretien avec Caulaincourt à l’Elysée. Jamais M. de Lamartine n’a été plus heureusement inspiré. Je verrais disparaître sans regret quelques détails d’intérieur sur lesquels l’historien s’appesantit avec trop de complaisance. Que Napoléon, accablé de lassitude, s’endorme dans un bain ou sur un fauteuil, peu nous importe assurément ; mais il est impossible de lire sans attendrissement, sans une émotion profonde, les paroles de Caulaincourt et la réponse du soldat vaincu. Quand le duc de Vicence, demeuré fidèle au malheur, mais comprenant pourtant que la fortune n’est pas seule coupable de la défaite de son maître, n’hésite pas à condamner le retour de l’empereur, et lui dit hardiment devant les courtisans consternés et déjà indécis : « Sire, votre place est au milieu de votre armée, » et que Napoléon, comprenant trop tard sa faute irréparable, laisse échapper l’aveu terrible qu’il avait jusque-là retenu sur ses lèvres : « Je n’ai plus d’armée ! » le lecteur, à quelque parti qu’il soit attaché, s’associe à l’émotion et à la justice de l’historien. Dans ces quelques pages, animées du patriotisme le plus pur, écrites d’une main sûre et impartiale, toutes les paroles portent coup. Rien n’est livré à la fantaisie, aux hasards de l’inspiration ; l’auteur exprime fidèlement ce qu’il sent et n’a pas besoin de recourir aux artifices du langage pour masquer l’indécision de sa pensée. L’expression se présente d’elle-même et trouve un écho empressé dans la conscience publique. Un peu plus de sobriété serait sans doute à désirer ; mais le regret s’efface devant la grandeur de la scène. Le retour de Napoléon à l’Elysée restera parmi les plus belles pages de M. de Lamartine.

Je voudrais pouvoir louer avec la même sincérité le récit de la bataille de Waterloo. Malheureusement ce récit, qui affiche toutes les prétentions d’un exposé stratégique, ne se recommande pas par la chute. La topographie, qui joue un rôle si important dans ces sortes de narrations, est traitée d’une manière beaucoup trop confuse. Quand on veut raconter une bataille selon la méthode de Jomini, il faut avant tout expliquer nettement la configuration du terrain où la bataille va se livrer. Or c’est précisément ce que M. de Lamartine a négligé. Il avait pourtant sous les yeux le récit de M. Vaulabelle, qui ne laisse rien à souhaiter sous le rapport de la clarté. Là, tout se comprend sans peine ; les mouvemens des armées ne sont pas plus difficiles à saisir que la marche d’une tour sur l’échiquier. Pourquoi ? C’est que M. Vaulabelle s’est avant tout appliqué à promener nos yeux sur le théâtre de la guerre. Aussi, quand les années s’ébranlent, comme nous connaissons tous les plis du terrain, nous les suivons