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sens comme un enfantillage inexplicable chez un homme parvenu à la maturité. Que M. de Lamartine ignore Montaigne et Joseph de Maistre, c’est pour moi, pour tous ceux qui aiment, qui admirent son génie poétique, un légitime sujet d’étonnement ; qu’il s’applique à montrer son ignorance, c’est une faute que je ne saurais lui pardonner ; le silence était si facile et de si bon goût !

Quant à M. Royer-Collard, le langage de M. de Lamartine me cause encore une plus vive, une plus douloureuse surprise. Tout en rendant justice à l’élévation constante de sa parole, il lui reproche d’avoir prêté l’autorité de son talent à des idées tout à la fois vagues et systématiques. Concilie qui pourra ces deux épithètes, si étonnées de se trouver réunies. Que des idées systématiques soient dépourvues de vérité, je le comprends sans peine ; mais qu’elles soient en même temps systématiques et vagues, j’avoue humblement ne pas le concevoir. Tantôt l’historien compare M. Royer-Collard à un oracle dont les paroles, livrées au vent, présentent un double sens ; tantôt il parle avec amertume de l’inflexible austérité de ses ouvrages. De cette double accusation il faut conclure que M. de Lamartine n’a jamais lu les pages écrites par M. Royer-Collard et recueillies par Théodore Jouffroy, et je suis fondé à croire qu’il n’a jamais lu, je dis lu en entier, les discours prononcés à la chambre des députés par cet homme éminent sur le droit d’aînesse, sur le sacrilège ; car, s’il connaissait à fond ces deux admirables discours, il parlerait autrement de l’homme qui les a prononcés ; il ne lui reprocherait pas d’être tour à tour obscur comme la pythonisse et précis comme l’algèbre, pour tous les hommes qui tiennent à n’employer que des mots dont ils comprennent le sens, l’algèbre est un moyen de transformer, d’élucider, de résoudre les questions les plus délicates de l’ordre mathématique. Si donc, par un bonheur inoui, un orateur politique arrivait à discuter les intérêts et les droits dans une langue aussi précise que l’algèbre, et pourtant accessible à toutes les intelligences, loin de le blâmer, il faudrait l’applaudir et le glorifier.

Il est vrai que M. de Lamartine ne tarde pas à nous expliquer son aversion pour la précision algébrique dans la langue des affaires ; mais, hélas ! l’explication est pire que la faute, le plaidoyer pire que le délit. Il ne veut pas que le gouvernement des hommes soit une œuvre de réflexion, il veut qu’il relève uniquement de l’inspiration et de l’instinct. Prononcer de telles paroles, c’est se déclarer soi-même incapable de gouverner. L’instinct et l’inspiration peuvent suggérer de beaux discours, des actes énergiques et sublimes, dont l’histoire doit tenir compte, qui laissent une trace durable dans tous les esprits généreux, dont le souvenir est consacré par la reconnaissance