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la popularité du livre. Ce n’est donc pas contre la réalité, mais contre la légitimité du succès que j’entends m’inscrire. Les applaudissemens prodigués à cette composition où la vérité joue un rôle si mince ne m’empêchent pas d’affirmer que ce n’est pas un livre d’histoire.

L’Histoire de la Restauration est-elle écrite plus sérieusement ? C’est ce que j’entreprends d’examiner aujourd’hui. Dans le nouveau sujet choisi par M. de Lamartine, l’imagination se trouve encore moins à l’aise que dans la révolution française, car les acteurs sont plus près de nous. Si les fils des constituait et des conventionnels ont pu à bon droit contester l’exactitude de plus d’une page dans l’Histoire des Girondins, le péril est encore plus grand pour l’auteur lorsqu’il s’agit d’événemens accomplis entre la chute de Napoléon et l’avènement de Louis-Philippe. Dans un pareil sujet, les détails romanesques ont bien peu de chances de succès. Pour le traiter dignement, il faut renoncer aux portraits de fantaisie et ne laisser l’imagination intervenir qu’après avoir épuisé toutes les sources d’information. Cette condition, applicable à toutes les compositions historiques, devient de plus en plus impérieuse à mesure que les faits se rapprochent de nous. M. de Lamartine s’en est-il souvenu ? C’est ce que nous aurons à déterminer.

Il y a deux manières d’étudier les faits : l’une facile et rapide, mais incomplète et périlleuse, qui consiste à recueillir les témoignages de seconde main ; l’autre, lente et laborieuse, défiante et pleine de tâtonnemens. L’historien qui accepte les témoignages de seconde main, au lieu de s’adresser à ceux qui ont assisté ou pris part aux événemens, simplifie singulièrement sa tâche. N’ayant rien à contrôler ou plutôt ne voulant rien contrôler, il peut se mettre à l’œuvre au bout de quelques semaines. Dès qu’il a feuilleté deux ou trois récits, en ayant soin de les emprunter à des écrivains de sentimens contraires, il prend la plume et ne voit plus dans son sujet qu’un exercice de rhéteur. S’il possède une imagination abondante, s’il sait construire sans effort des périodes harmonieuses, il est à peu près sûr de rencontrer des lecteurs sympathiques. Comme les esprits dedans et scrupuleux sont en minorité, pour peu qu’il dise mieux ce qui a déjà été dit avant lui, les louanges ne lui manqueront pas. La foule se laisse volontiers séduire par la mise en scène, et ne demande pas à vérifier l’exactitude des faits. Aussi je comprends très bien que cette première méthode soit souvent appliquée : elle a quelque chose de séduisant ; pour résister à la tentation, il faut une grande force d’esprit, un vif amour de la vérité. Il est si doux d’achever en quelques mois ce qui demanderait plusieurs années de travail, de broder sur un thème déjà développé des phrases coquettes et sonores ! La plume, une fois lancée, ne s’arrête plus. Ce n’est pas un labeur, c’est