Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 7.djvu/796

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrivé à ce passage où l’amant conjure sa bien-aimée de le traiter avec moins de rigueur, promettant à ce prix d’oublier le passé, l’admirable virtuose développa une phrase pleine de grâce qu’il suspendit un instant sur un accord de septième diminuée, pour en faire mieux désirer la conclusion, qu’il acheva d’un accent ému, mais toujours tempéré.

L’aria fut exécutée aussi par le virtuose avec une coquetterie et une fluidité de style inimitables qui étaient bien en rapport avec ces paroles d’une aimable galanterie :

Ch’ io mai vi possa
Lasciar d’amare,
No, nol credete
Pupille care,
Ne men per gioco
V’ingannerò[1] !

Ce madrigal de Métastase a éveillé aussi de nos jours la fantaisie de Rossini. Il forme le premier morceau des Soirées musicales, chef-d’œuvre de grâce mélodique et d’harmonie exquise, qui est au génie de l’auteur de Guillaume Tell ce que les caittoli ou élégies sont à celui de l’Arioste. En comparant l’aria de Porpora à la canzone de Rossini, on voit à cent ans de distance, et à travers les modifications et les progrès de l’art, la persistance du génie italien, facile, élégant et toujours lumineux. Dans la cantate du maître napolitain, remplie d’étincelles et de trilles innombrables qui jaillissent d’une mélodie coquette et fort ingénieusement accompagnée, on sent comme la fraîche haleine d’une muse qui a plus de caprices que de passion[2]. Dans celle de Rossini, si admirablement modulée, et dont presque chaque note reflète une dissonance qui fuit comme un désir, il semble qu’on entende l’aveu d’un sentiment qui sourit et badine pour ne point effaroucher l’oreille qui l’écoute. On dirait une scène de villégiature, un doux entretien dans une allée ombreuse, au déclin d’un beau jour.

— Avez-vous bien saisi les différentes nuances que j’ai fait ressortir dans le récitatif de Porpora ? dit Pacchiarotti à la Vicentina, qui avait écouté avec ravissement l’admirable virtuose. En passant successivement d’un récit qui se rapproche presque de la parole ordinaire

  1. « Ne croyez pas que je puisse jamais cesser de vous aimer, ô mon cœur ! Pas même en badinant, je ne vaudrais vous tromper. »
  2. Dans un roman de Mme Sand qui a été beaucoup lu, Consuelo, on trouve sur le premier plan de ce joli tableau de la vie vénitienne la figure du vieux Porpora. Nous n’étonnerons sans doute personne en disant que Mme Sand a prêté au maître napolitain les couleurs de sa belle imagination. Mme Sand est moins un historien qu’un poète ; aussi le Porpora a qu’elle a créé n’a-t-il presque rien de commun avec l’auteur de la cantate dont il est question ici.