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E’ un prodigio, c’est un prodige de la nature. — J’ai été à la Piétà, répondait une autre personne, où j’ai été émerveillé de la Sinfonia et surtout de l’Albanese, qui a exécuté sur le violon une sonate de Locatelli avec une rare maestria de coup d’archet. — Moi, répliquait un dilettante d’un goût plus difficile, je n’ai pas voulu manquer l’occasion d’aller entendre à la chapelle des Incurables le fameux Miserere que Hasse a composé pour cette école, dont il a été directeur au commencement de ce siècle. Ce morceau remarquable n’y est chanté qu’une fois par an, et je tenais à m’assurer si on y a conservé intacte la tradition du Sassone.

Telle était l’organisation des institutions musicales de Venise, qui ont eu une si grande renommée, et dont parlent avec éloge tous les voyageurs de l’Europe ; elles ont été dirigées tour à tour par les premiers maîtres de l’Italie et surtout de l’école napolitaine, tels qu’Alexandre Scarlatti, son fondateur, Porpora, Hasse, Jomelli, Sacchini, Anfossi, Cimarosa, Sarti ; les compositeurs vénitiens Caldara, Gasparini, Lotti, Galuppi, Bertoni, Furlanetto, ont aussi puissamment contribué au succès de ces pieux établissemens, où l’art s’était épanoui insensiblement comme un luxe de la charité. Les conservatoires de Naples pour les hommes et les scuole de Venise pour les femmes ont été les deux grands foyers de l’art de chanter pendant le XVIIIe siècle. Si Naples a produit les Farinelli, les Caffarelli, les Gizzielo et presque tous les sopranistes célèbres qui ont émerveillé l’Europe, c’est des écoles de Venise que sont sorties les grandes cantatrices qui ont illustré l’Italie depuis la naissance de l’opéra jusqu’à la révolution française.

À l’époque où nous sommes arrivés dans ce récit, les écoles musicales de Venise se ressentaient de l’affaiblissement général de toutes les institutions. La Pietà, la plus ancienne de toutes, survécut aux trois autres, et finit par disparaître aussi quelques années après la chute de la république. Sous la direction de Francesco Caffi, il s’éleva en 1811 un institut philharmonique qui donna quelques espérances qui s’évanouirent bientôt ; une école de chant fut créée en 1822 pour fournir à la chapelle de Saint-Marc de jeunes enfans de chœur ; dirigée par un élève de Furlanetto, Ermagora Fabio, cette école est le dernier écho d’un magnifique concert qui a duré deux cents ans.

Après Bianca Sacchetti, la Vicentina a été la dernière cantatrice de mérite qui soit sortie de l’école de’ Mendicanii ; elle possédait une voix magnifique, d’une grande flexibilité, qui avait été fort bien dirigée par son maître, le vieux Grotto. Ses débuts avaient eu de l’éclat ; mais, depuis l’arrivée à Venise de Pacchiarotti, elle avait compris que les conseils d’un pareil virtuose seraient pour elle d’un prix inestimable ; aussi, du consentement de Grotto et de Zustiniani, qui payait