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jeune homme, il n’était pas fâché de tenir par un lien quelconque à cette fière aristocratie qui considérait la gloire et la puissance de Venise comme son patrimoine.

Ces distractions de l’esprit, ce premier épanouissement de l’instinct de connaître et d’admirer, loin d’affaiblir le sentiment que Lorenzo éprouvait pour Beata, en accroissaient l’intensité. Dans ce caractère à la fois ambitieux et tendre, l’amour se nourrissait de toutes les aspirations de la vie, et les concentrait comme dans un foyer qui en doublait la puissance. Depuis qu’il était à Venise, Lorenzo se sentait plus fort vis-à-vis de lui-même. Placé sur un plus grand théâtre, il paraissait aussi moins étonné de la distance qui le séparait de sa bienfaitrice, et au fond de son cœur il ne désespérait pas de surmonter un jour les difficultés qu’on opposerait à ses désirs. Sans doute ces rêves d’un jeune homme de quinze ans étaient aussi vagues que le but qu’il se proposait d’atteindre. C’était comme une sorte de mirage qui lui faisait entrevoir au loin une source désirée, récompense suprême de ses efforts. Aussi Lorenzo marchait-il hardiment dans la carrière que lui ouvrait son imagination. Enchanté de l’heure présente, lier d’être déjà du petit nombre des élus, heureux de vivre et de développer ses facultés, il s’élançait dans l’avenir avec cette confiance et cette allégresse bruyante de la jeunesse qui franchit en riant les plus grands obstacles.

Lorenzo travaillait avec la patience d’un bénédictin et l’ardeur d’un néophyte qui veut conquérir sa place au banquet de la vie. L’histoire, la littérature ancienne et moderne, la philosophie et surtout la musique, étaient les sujets qui attiraient de préférence son attention. Parmi les livres nombreux que la curiosité insatiable de Lorenzo lui mit sous les yeux, les Dialogues de Platon et la Divine Comédie de Dante étaient, avec les œuvres de Rousseau, ceux qui avaient le plus vivement frappé son imagination. Platon et Dante, le poète de l’idéal antique et celui de l’idéal chrétien, qui étaient si loin des tendances et des préoccupations du XVIIIe siècle, répondaient admirablement à la nature réfléchie et affectueuse du jeune Vénitien. Son heureux instinct le portait à réduire les faits en un petit nombre de principes, à n’absorber de ses lectures que les parties vraiment nutritives, à dégager ces parcelles d’or qui forment l’essence des vérités générales, et dans le peintre sublime et touchant du paradis et de l’enfer, Lorenzo trouvait un poète qui flattait sa passion, un poète qui avait consacré sa vie et un admirable génie à éterniser un rêve de l’amour.

Cependant la contenance de Beata vis-à-vis de Lorenzo était bien changée depuis son retour à Venise. Enrayée de la consistance qu’avait prise l’affection, toute sereine d’abord, que lui avait inspirée le