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d’aggraver les dissentimens en aigrissant les amours-propres. Il envoya également au prince de Hardenberg une copie de sa réponse au comte de Lieven, en lui faisant remarquer que, sans blesser le gouvernement russe, elle était de nature à garantir les délibérations des gouvernemens germaniques contre une intervention inopportune. Enfin il le pria de s’interposer aussi auprès de M. de Metternich pour mettre fin à l’échange de notes assez vives qui continuait d’avoir lieu entre les deux cours impériales sur des questions de pure théorie : « Nos alliés, disait-il, doivent se rappeler que nous avons un parlement, et qu’ils ont eux-mêmes un grand intérêt à ne pas y provoquer sans utilité des discussions irritantes sur des matières de politique continentale. »

Cette ingérence du cabinet de Saint-Pétersbourg dans les affaires allemandes ne blessait pas seulement les cabinets de Vienne et de Berlin, dont elle contrariait les vues particulières. Le gouvernement bavarois, dont elle semblait appuyer la résistance à la suprématie des deux grandes cours, en éprouvait lui-même quelque impatience. Voici ce qu’écrivait le A janvier à lord Castlereagh l’envoyé anglais à Munich, sir Frédéric Lamb[1], un des agens les plus éclaira de la diplomatie anglaise :


« … J’ai pris connaissance de la circulaire du gouvernement russe à ses ministres. Je ne puis y voir autre chose qu’un manifeste destiné à donner aux gouvernemens allemands l’assurance qu’ils seront soutenus dans leur opposition aux mesures de l’Autriche. La Russie attache peu d’importance à la réponse qu’elle pourra recevoir de l’Angleterre, et elle s’attend à ce que le but qu’elle a en vue soit atteint par le fait seul de la mise en circulation de ce document. Cette manière de voir a été confirmée dans mon esprit par une conversation de ce matin avec le ministre des affaires étrangères bavarois, M. de Rechberg, qui est allé jusqu’à me dire que l’objet de la Russie était de tout embrouiller, et qu’il n’était pas possible de compter sur la tranquillité de l’Europe tant que cette puissance aurait sur pied une armée aussi considérable, organisée en corps, et qu’une simple signature suffit pour mettre en mouvement. Il a reconnu que la phrase du mémoire russe relative au pouvoir dictatorial à donner à la diète était dictée par une intention si évidemment malveillante, que, suivant toute apparence, elle manquerait son effet ; il m’a dit en même temps que l’empereur avait décidément approuvé les mesures prises au sujet des journaux et des universités. Je crois qu’on peut en induire une distinction fondée par rapport aux sentimens de l’empereur. Il veut que l’esprit révolutionnaire soit dompté, mais il est hostile à la confédération germanique, la regardant comme une arme qu’on pourrait tourne contre lui. Je ne puis m’empêcher de penser qu’il y a eu une singulière faiblesse à demander l’opinion de la Russie sur les mesures que l’on examinait à Vienne. — … La nécessité d’établir un système uniforme de constitutions en Allemagne est un motif très fondé de modifier ce qui est

  1. Le dernier lord Melbourne, frère du premier ministre.