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de l’état[1], tandis que le capital de la dette publique est en France quatre fois plus considérable que les recettes annuelles du trésor, et en Angleterre au moins vingt fois ; mais la dette publique en Russie n’est ni la plus lourde ni la plus redoutable des obligations qu’en matière de crédit, le gouvernement a prises à sa charge.

Les institutions de crédit ne sont pas compatibles avec le pouvoir absolu. Si elles n’existaient pas au moment où ce régime s’établit, elles ne pourraient plus naître ; car le crédit est l’expression de la confiance, et pour que la confiance supplée le capital, il faut des conditions de sécurité et de liberté, des garanties en un mot que le despotisme n’apporte à personne. Quand elles existent au moment où s’élève cette domination sans frein comme sans contrôle, elles déclinent bientôt et voient leur clientelle s’éloigner. Le pouvoir absolu tend d’ailleurs à les envahir, et, dès que l’occasion s’en présente, à les absorber. Le monopole du pouvoir mène inévitablement à tous les autres.

Cela devait arriver particulièrement en Russie. Là, le gouvernement peut être tenté à chaque instant de prendre en main une initiative que la nation déserte, ou dont elle n’a pas la pensée. Pierre le Grand, en travaillant à la grandeur du peuple russe, ne l’a pas associé à sa propre réforme : il en a fait les automates du progrès. La métamorphose, au lieu d’éclore sous l’influence de la persuasion et de l’exemple, s’est accomplie en quelque sorte par ordre, et conserve encore aujourd’hui le caractère d’un acte d’autorité. Il y a peut-être dans la race slave moins de spontanéité et de génie inventif que d’esprit d’imitation. L’habitude a d’ailleurs façonné les Russes à dépendre du gouvernement en toutes choses. Si la personnalité individuelle et l’esprit d’association avaient jamais existé dans l’empire, il y a longtemps que ces deux forces, ne trouvant plus où se prendre, auraient donné leur démission.

Pierre le Grand, à force de génie et de persévérance, avait organisé une armée, improvisé une marine, commencé une administration. Ses successeurs, continuant ce rôle et l’exagérant, ont entrepris de créer l’industrie ainsi que le commerce. C’était déjà une assez. grave difficulté que d’établir solidement le crédit de l’état. Ils ont voulu faire davantage. Devançant à beaucoup d’égards par la pratique les théories du socialisme le plus aventureux, ils ont prétendu distribuer le crédit à tout le monde. Ce que le gouvernement russe


  1. Ancien et nouvel emprunt de Hollande 57,149,000 florins
    Dette intérieure à terme 110,867,055 roubles argent.
    Rentes perpétuelles intérieures et extérieures 223,861,476 roubles argent
    Autres dettes diverses 5,280,000 livres sterling
    Ce qui forme environ un total de 401,552,111 roubles argent