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ils préféreraient se passer de pain ou de bouillie d’avoine. Peut-être même en consommera-t-on davantage, car, si les propriétaires ne peuvent pas exporter leurs grains, ils en livreront une partie aux distilleries. C’est donc calculer très largement que d’admettre que le revenu public va diminuer d’un huitième ou de 100 millions de francs sous l’empire des circonstances présentes.

Avec un revenu de 700 millions, la Russie peut-elle faire face aux éventualités d’une guerre qui range dès cette année toutes les forces de l’Europe parmi ses adversaires directs ou indirects ? Ce revenu s’est trouvé insuffisant pendant la paix, puisque le gouvernement russe n’a couvert qu’à l’aide des emprunts contractés à l’étranger le déficit annuel de ses finances. Comment supposer que la période des batailles rendra l’équilibre financier plus facile, et que l’on alimentera la guerre par l’impôt ?

L’empereur Nicolas n’a pas résolu, comme on l’a prétendu, le problème d’entretenir à peu de frais un grand état militaire. Proportionnellement au nombre des hommes, l’armée en Russie coûte tout aussi cher qu’ailleurs. Le soldat y est mal nourri et mal vêtu, à l’exception de la garde : on l’a vu mendier son pain, l’automne dernier, dans les rues de Bucharest ; mais le trésor ne gagne rien à cette sobriété forcée, car ce que l’on soustrait à l’estomac et à l’équipement des malheureux soldats devient le butin des colonels, des généraux et des intendans. En dépit des exécutions que l’empereur fait de temps en temps pour rappeler ses fonctionnaires au sentiment du devoir, le vol est enraciné dans les mœurs administratives. Le trésor public, par un principe d’économie mal entendu, paie misérablement les employés de l’état, et ceux-ci s’en dédommagent à pleines mains par le pillage combiné des contribuables et du trésor. Nous ne pourrions rien dire sur ce triste sujet qui égalât l’horreur du tableau que les Russes en font eux-mêmes.

Le cabinet de Pétersbourg, ayant à couvrir ses frontières de terre et de mer à la fois, ne peut pas mettre sur pied moins de huit à neuf cent mille hommes. Or, que l’on s’y prenne comme on voudra, une armée de neuf cent mille hommes en campagne représente une dépense annuelle d’au moins 900 millions de francs ; ajoutez l’entretien de quarante vaisseaux de ligne, avec l’accessoire des bâtimens légers et des navires à vapeur qui doivent toujours être prêts à prendre la mer, et vous arriverez sans peine au milliard. Supposez maintenant que la Russie ne prélève que 200 millions sur son revenu pour servir l’intérêt de sa dette et pour subvenir aux dépenses de l’administration civile ; il faudra encore que le gouvernement, en dehors de son revenu ordinaire, se procure chaque année, pour soutenir la lutte, une somme de 500 millions !