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aux enfans l’expérience des pères. Quant à lui, il a peu de chose à dire des siens. Il avait huit ans quand mourut son aïeul, à qui son père ne survécut que quatre années. Il sait seulement qu’ils avaient Sa barbe et les cheveux noirs, un air de force et une mâle beauté, signes de courage et d’énergie morale, et il n’a recueilli sur chacun d’eux que le souvenir de quelques prouesses dignes des compagnons de Richard Cœur-de-Lion. Son arrière-grand-père, sir Richard Herbert de Colbrook, très redouté dans sa contrée des ennemis de la paix publique, était un héros à comparer aux Amadis de Gaule. C’est lui qui, la hache d’armes à la main, traversa deux fois sans être touché toute une armée venue du nord. Un jour qu’avec son frère, le comte de Pembroke, il donnait la chasse à des brigands du pays de Galles, ils prirent dans l’île d’Anglesey sept frères convaincus de toutes sortes de crimes. Pembroke venait d’ordonner qu’on les pendit, lorsque leur mère accourut et le supplia de faire grâce à deux ou du moins à un de ses fils. Sir Richard appuya cette prière, qui fut rejetée par le motif qu’un choix était impossible entre tels misérables, et la mère, qui portait à ses bras deux chapelets de laine[1], se jetant à genoux, maudit lord Pembroke en priant Dieu qu’il périt à son premier combat. Peu après, à la journée de Banbury, au moment où les deux frères venaient de mettre leurs soldats en ligne, l’aîné aperçut sir Richard appuyé sur sa hache d’armes ; son air était pensif et mélancolique. « Quoi ? lui dit-il, ce grand corps (il était de haute taille) a-t-il peur, que tu paraisses si triste, ou la fatigue te force-t-elle à te reposer sur tes armes ? — Rien de semblable, répondit Richard, et vous le verrez tout à l’heure. Je n’ai peur que pour vous. Puisse ne pas tomber sur votre tête la malédiction de la femme aux chapelets de laine ! » Les deux frères pris dans la bataille eurent la tête tranchée. Le fils du plus jeune, un autre sir Richard, gardien sous Henry VIII des marches du pays de Galles et du comté de Cardigan, continua à pratiquer avec une justice énergique cette police armée, emploi héréditaire de la famille. Son fils Édouard, après avoir commencé par la cour, suivit la carrière militaire, combattit à Saint-Quentin et dans les guerres civiles de son pays. Retiré dans son comté de Montgomery, il y était l’effroi des maraudeurs (outlaws) qui infestaient les environs. Sans cesse en course pour en purger le pays, il ne rentrait dans son château que pour y exercer grandement l’hospitalité féodale. Aussi disait-on communément lorsqu’on voyait lever le gibier : « Vole où tu voudras, tu percheras à Black Hall. » C’était la résidence de sa vieillesse. Comme lui, vice-lieutenant du comté, juge de paix et gardien des titres et

  1. Ainsi le parle la relation, dit lord Herbert. Cela se comprend peu.