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réalité visible à tous les yeux ; le tsar moscovite était le maître de l’Allemagne ! »

Ce serait un curieux commentaire de ce voyage que le tableau complet des alliances de famille à l’aide desquelles la diplomatie russe a établi, depuis trente ans surtout, le vasselage des cours allemandes. Lorsque Catherine II cherchait des princesses en Allemagne pour les donner en mariage à son fils Paul et à son petit-fils Alexandre, elle laissait éclater insolemment la conscience de sa force. Ici, c’était la landgrave de Darmstadt qui, cédant aux impérieuses instances de Catherine et de son envoyé, le comte d’Assebourg, faisait pendant l’été de 1773 le voyage de Russie, avec ses trois filles, sous cette condition expresse posée par la tsarine, qu’elle ne s’engageait pas à choisir une des princesses. Là, vingt ans plus tard, en 1794, c’était la duchesse de Bade qui allait, sous les mêmes conditions, présenter ses filles à l’examen de Catherine. Toutes les négociations relatives à ces mariages sont remplies de détails humilians. Catherine ne dissimule pas la condescendance dont elle croit donner une preuve en voulant bien abaisser ses regards sur les princesses allemandes. Inutile de dire que les fiancées de Paul et d’Alexandre devront renoncer au protestantisme et embrasser la religion grecque ; on ne semble même pas croire que ce puisse être l’objet d’une hésitation : qu’est-ce que la religion natale, quand il s’agit de devenir princesse russe ? Il y avait pourtant d’assez récens exemples qui n’étaient pas faits pour encourager les mères : on parlait encore de cette belle Charlotte de Wolfenbüttel, sœur de l’impératrice d’Allemagne, mariée en 1711 au tsarévitch Alexis et morte victime de ses brutalités ; mais l’altière volonté de Catherine ne laissait pas de place à ces réflexions inquiètes : elle ordonnait en souveraine, et les princesses allemandes devaient s’estimer heureuses de son choix. Il y a certes plus de noblesse et de courtoisie, à l’heure qu’il est, dans ces affaires de famille qui unissent la Russie et l’Allemagne ; sur ce point comme sur tous les autres, une diplomatie habile a remplacé les procédés barbares. Le tsar n’est-il pas le représentant de l’ordre et de la religion en face du paganisme occidental ?

Regardez-y de près cependant : si ces mariages qui jouent un si grand rôle dans la politique russe ne sont plus négociés avec la dureté hautaine de Catherine II ils sont encore, on va le voir, la source de bien des hontes, et les publicistes d’outre-Rhin n’ont que trop souvent l’occasion de rougir, quand ils comparent le sort des princesses allemandes en Russie avec les privilèges des princesses russes en Allemagne. Lorsqu’une Allemande épouse un des princes de la famille du tsar, elle est obligée, comme au temps de Catherine II, d’abandonner la religion de ses ancêtres. Rien de changé sur cet