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contre les séductions du culte grec est frappé de peines sévères ; s’il ramène des convertis, il expiera son triomphe dans les mines de l’Oural. Que l’homme attiré par la peur à la religion gréco-russe ne s’avise pas d’éprouver un remords ; il est surveillé de près, et la prison est là pour le catéchumène oublieux de ses promesses. Qu’il ait bien soin surtout d’élever ses enfans dans le culte grec, sinon l’autorité ecclésiastique s’emparera des enfans sans se soucier des cris de la mère. Exécutées avec fureur par une armée de despotes subalternes, de telles lois, comme on pense, ont produit d’atroces iniquités, et le martyrologe des protestans de la Baltique n’est pas moins lamentable que celui des catholiques de Pologne.

Cette guerre aux traditions de l’Allemagne se poursuit sur tous les points avec une persévérance infatigable. L’université de Dorpat est le centre de l’esprit allemand dans les provinces baltiques. Là tout est allemand, de même que tout est suédois à l’université d’Helsingfors en Finlande ; c’est en allemand que se font les cours, ce sont des maîtres venus d’Allemagne ou formés dans ses écoles qui instruisent une jeunesse dont toutes les pensées sont tournées vers la littérature et la science de l’Occident. Fondée au commencement du XVIIe siècle et exposée pendant les révolutions intérieures de la Russie à des alternatives de faveur et d’oppression, la célèbre école de Dorpat avait été réorganisée en 1802 par l’empereur Alexandre, qui lui conserva ses droits et ses franchises. Dorpat étendait au loin son influence ; elle avait une sorte d’école normale, un séminaire de professeurs, qui fournissaient des maîtres aux universités moscovites. Ces universités, Moscou, Khasan, Kiev, Kharkov, tout à fait russes par l’esprit qui les anime et le régime auquel elles sont soumises, subissaient insensiblement l’action féconde de la grande école livonienne. À Khasan, en 1810, il y avait quatorze Allemands sur quinze professeurs, et aujourd’hui encore la moitié des maîtres enseigne dans la langue de Lessing. Depuis une dizaine d’années, cette éclatante prospérité de Dorpat est l’objet des plus violentes attaques. Le parti moscovite déclare hautement que l’esprit russe est assez fort pour secouer la tutelle de la science allemande. Que lui apprendraient ces païens ? comme disent les manifestes du tsar contre l’Europe ; ils ne peuvent qu’arrêter l’essor du génie national. Un grand obstacle au triomphe de l’esprit moscovite dans les universités, c’est que la langue russe, formée jusqu’ici par des poètes, n’avait pas les qualités propres à l’enseignement. Toutes ces sciences, physique, mathématiques, géologie, médecine, qu’on allait puiser dans les écrits de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France, on trouvait plus commode de les exprimer en allemand. La langue russe n’a pas encore atteint la puissance d’abstraction et d’analyse qui permet à l’esprit de dominer les