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semblait investi d’une sinécure ; mais bientôt la Livonie, l’Esthonie, la Courlande furent inondées d’émissaires occupés à provoquer des conversions parmi les paysans, et la disette ayant sévi en 1841, il ne fut pas difficile d’exploiter la misère des campagnes. Une fois convertis à la religion grecque, disaient les envoyés de l’évêque, les malheureux paysans de la Baltique seraient transportés dans les régions plus fertiles de la Russie méridionale, où ils n’auraient plus d’impôts à payer. Ces menées excitèrent d’abord une résistance si vive, qu’il fallut faire marcher des troupes dans l’intérieur du pays pour contenir l’agitation. La lutte recommença en 1845, mais cette fois ce ne furent plus des entreprises détournées ; l’esprit russe annonçait hautement son dessein de détruire tous les élémens nationaux des provinces baltiques, comme on le faisait à ce moment même en Pologne par l’odieuse oppression des catholiques. Les provinces baltiques avaient gardé jusque-là leurs titres de duchés ; elles entrèrent dès lors dans la division officielle de l’empire et ne furent plus que de simples gouvernemens. On s’attaqua d’abord aux vieux usages : les mesures et les monnaies allemandes, si commodes aux négocians pour leur commerce avec la Prusse, durent être abandonnées pour les mesures et les monnaies de la Russie. En 1846, le vieux droit germanique, si religieusement conservé depuis des siècles, fit place à la loi moscovite et à sa pénalité barbare. Aucun Allemand ne put remplir désormais les fonctions de pasteur et de maître d’école, s’il ne justifiait d’une connaissance exacte de la langue russe. Enfin une église grecque a été construite à Riga, et bientôt un nombre considérable de prosélytes attestait l’audace et l’activité des convertisseurs. Le chef de ces convertisseurs, pour lesquels tous les moyens sont honnêtes, est un certain Michailof, naguère intendant d’un noble livonien, homme d’une réputation suspecte, et qui s’engagea, dit-on, dans l’église gréco-russe pour couvrir les souillures de sa vie. Un de ses auxiliaires les plus habiles, — M. Wilhelm Stricker signale ce fait en rougissant de honte, — est un Allemand nommé Bürger. D’après un calcul qui remonte à un certain nombre d’années, ils avaient déjà enrôlé dans leur église plus de seize mille Livoniens et Courlandais. « Le temps n’est pas loin, ajoute l’écrivain qui me fournit ces détails, où le luthéranisme aura complètement disparu des campagnes ; on le tolérera encore, comme aujourd’hui, chez la noblesse de Mitau et de Riga ; les paysans lettes et livoniens seront tous soumis. » Les femmes en général sont plus fortes que les hommes contre les captations et les menaces ; mais qu’importe cette résistance ? Filles et fils, à l’âge de dix-sept ans, sont tenus de suivre la religion de leur père ; ainsi le veut impérieusement la loi russe. Le pasteur luthérien qui met les fidèles en garde