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prétend qu’il fut arrêté par les catholiques et condamné au feu. La fin tragique du chef ne dispersa pas les disciples ; ils vécurent près d’un siècle dans les montagnes de la Bohême, obstinément fidèles à sa mémoire, et la persécution ayant redoublé pendant la guerre de trente ans, ils cherchèrent un refuge en Hongrie. Repoussés de Hongrie par les jésuites, ils se retirèrent aux environs de Bucharest et y vécurent de longues et paisibles années, jusqu’à ce que, tourmentés par les brigandages des Turcs dans la guerre de 1772, ils n’eurent plus d’asile que chez les Russes. Un général russe les attira sur ses terres en Podolie ; ils y étaient établis depuis plus de soixante ans, et il ne paraît pas qu’ils y fussent très heureux, lorsque Jean Kornies, informé de leurs longues tribulations, obtint pour eux des concessions de terrain non loin de la colonie des mennonites. L’émigration se fit vers 1842. Quelle surprise et quelles actions de grâces, quand les disciples de deux hommes unis par tant de liens, quand ces frères qui ne se connaissaient pas se retrouvaient enfin, à une si longue distance de la terre natale, après trois siècles de pérégrinations et de misères ! Le doyen de la communauté conserve encore, dit M. Stacker, un manuscrit in-folio commencé par Hutter lui-même, et qui contient, avec l’exposé de sa doctrine, la tragique histoire de la colonie ; après lui, les chefs de chaque génération ont continué le précieux journal où se trouvent ainsi consignés beaucoup de détails du plus vif intérêt pour l’histoire de la réforme et de la guerre de trente ans.

Les contrées de la Mer-Noire et de la Mer-Caspienne, la Bessarabie, la Crimée et les steppes que domine le Caucase ont aussi de nombreuses colonies allemandes. Dans la Bessarabie et la Crimée, ce sont des colonies luthériennes et catholiques en nombre à peu près égal et venues presque toutes du Wurtemberg ; dans les plaines du Caucase, ce sont surtout des mennonites prussiens. Le régime auquel sont soumis les colons est beaucoup plus doux que celui des Russes ; ils ont conservé la plupart des franchises au moyen desquelles on les attira jadis dans ces contrées inhospitalières, et bien que le comité des colonies établi à Odessa soit présidé par un général russe qui ne sait pas un mot d’allemand, l’administration vraiment humaine du prince Voronzov veille sur leurs intérêts. Les colonies du Volga et du Dnieper avaient émigré dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ; c’est de nos jours seulement que se sont fondées les colonies catholiques et luthériennes de la Mer-Noire et du Caucase. Les colons de la Crimée, sortis presque tous du Wurtemberg, de l’Alsace et de la Suisse, ont pris possession du sol vers 1804 ; les colons de la Géorgie et ceux qui défrichent les steppes situées au nord du Caucase ont quitté leur pays en 1816 et en 1818. Ces derniers sont des Souabes,