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dans plusieurs contrées de l’Europe du nord une sorte de méthodisme rigide et laborieux, quelque chose d’assez semblable aux quakers de l’Angleterre et des États-Unis. Ces mennonites du Dnieper furent mieux traités que les émigrans de 1764. On ne leur refusa ni les terres, ni les instrumens aratoires, ni les secours en argent. Ce n’était pas d’ailleurs une colonie exclusivement agricole ; c’était en quelque sorte une petite ville qui émigrait avec toutes ses industries. Cette colonie peu nombreuse, mais active et dévouée, fait le plus grand honneur à la moralité allemande. Les voyageurs sont unanimes sur ce point. M. Haxthausen, malgré son dévouement à la Russie, n’hésite pas à la signaler comme un exemple salutaire à toutes les populations moscovites. Des hommes éminens sont sortis de cette communauté ; on cite surtout un paysan venu de la Prusse orientale, un homme simple et sans culture première qui, par la seule force d’un esprit droit, par la seule inspiration d’un zèle vraiment chrétien, est devenu le conseiller du gouverneur de la Russie méridionale, de l’illustre prince Voronzov. Son nom est Jean Kornies. L’action morale des tribus germaniques en Russie n’a jamais eu de représentant plus digne. La colonie du Dnieper est entourée de peuplades tartares que Jean Kornies a eu la gloire de civiliser ; il y a déjà, dit-on, dix-sept mille sauvages de la steppe qui ont établi avec son aide un nombre considérable de villages où ils vivent et travaillent à l’exemple des mennonites. Kornies a été véritablement l’apôtre du christianisme et de la civilisation chez ces barbares ; ils l’appellent tous mon père ! Les richesses immenses qu’il a acquises par son travail ne lui servent qu’à assurer la prospérité des colonies allemandes, ou a porter plus loin son apostolat et ses conquêtes ; il a gardé toute la simplicité de sa première existence, et il maintient sévèrement autour de lui la tradition des vieilles mœurs. C’est un usage chez nous, disait-il un jour à un voyageur, que le fils du plus riche fermier serve chez un fermier voisin pendant un ou deux ans. La domesticité n’est pas une profession, c’est une étape de la vie qu’il faut que chacun traverse. N’est-ce pas un curieux spectacle que ce christianisme du XVIe siècle et cette cordialité allemande transportés si fidèlement au milieu même des Tartares ?

Les mennonites ne sont pas la seule secte religieuse qui ait fourni des colons allemands aux contrées qu’arrose le Dnieper. Quelques années avant que Menno Simonis eût établi sa doctrine, un autre sectaire du temps de la réforme, un certain Hutter, originaire de Saxe, avait fondé une communauté religieuse animée d’un esprit tout semblable. Il avait eu quelques relations avec Thomas Münzer, mais indigné bientôt de ses violences, il était allé instituer son église en Bohême. Chassé de Bohême, il se dirigea vers Inspruck, où la tradition