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fils de Pierre le Grand, le cousin de Pierre II, qui avait, succédé à Catherine, et le neveu de la tsarine Elisabeth ; mais il était en même temps par son père le neveu du roi de Suède Charles XII, il était avant tout prince de l’empire d’Allemagne, et, malgré les liens qui l’unissaient aux tsars, il manifestait une aversion profonde pour la Russie et l’esprit russe. Il avait quatorze ans à peine, quand sa tante Elisabeth l’appela auprès d’elle et le désigna comme héritier au trône ; déjà cependant ses prédilections et ses antipathies s’étaient déclarées avec une singulière franchise. C’était le temps où Frédéric II montait sur le trône de Prusse et étonnait l’Europe par l’éclat de ses talens militaires. Frédéric II n’avait pas de plus fervent admirateur que le futur héritier d’Elisabeth. Pendant les vingt années du règne d’Elisabeth, le duc de Holstein-Gottorp, indifférent ou hostile à tout ce qui se passait en Russie, avait les yeux tournés vers la Prusse ; il s’inspirait de l’exemple de Frédéric II, il se réjouissait de ses victoires aussi vivement qu’il sympathisait à ses malheurs, et l’on sait que Frédéric allait être écrasé en 1761, quand l’avènement du duc de Holstein-Gottorp au trône de Russie changea subitement les alliances et sauva le glorieux capitaine.

Le règne de Pierre III, si étrangement défiguré par tous les courtisans de Catherine II, qui rivalisaient de bassesse en calomniant sa victime, est certainement une des périodes les plus intéressantes et les plus nobles de l’histoire de Russie. C’est celle du moins où l’influence germanique déploie tout ce qu’elle a de bienfaisant. Point de violences, comme sous la régence de Biren et l’administration d’Ostermann ; point de triomphes ensanglantés ni de représailles hideuses ; Pierre III rappelle de son plein gré les proscrits d’Elisabeth, le maréchal de Munich et le duc de Biren (Ostermann était mort en Sibérie), mais en même temps il veut rendre à la vieille aristocratie nationale l’indépendance qui lui avait jadis appartenu. Ce fut un touchant spectacle. Le vieux Munich revint à Saint-Pétersbourg après vingt années d’exil dans les neiges ; il avait près de quatre-vingts ans. Cette longue captivité semblait avoir transformé l’intrépide capitaine. Résigné à son malheur, il avait trouvé de précieuses consolations dans les pratiques d’une piété sincère. L’esprit russe s’était comme dissipé chez lui ; la nature allemande reprenait ses droits, et cette âme, ulcérée par l’ambition et l’intrigue, retrouvait des trésors de douceur et de bonhomie. Il vivait comme un frère morave dans ces solitudes désolées, assistant chaque jour au service divin et composant des hymnes à la louange du Sauveur. On rapporte qu’il était occupé, selon son habitude quotidienne, à réciter des prières avec sa femme, quand il reçut le décret du tsar qui lui rendait sa liberté. Il resta à genoux, acheva ses pieux exercices ; puis