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un couvent de Moscou, venait d’être rappelée solennellement à la cour ; le siège de l’état, transporté naguère à Saint-Pétersbourg, avait été rendu à Moscou. Une puissante famille, les Dolgorouki, les chefs les plus considérables de la vieille féodalité moscovite, conduisaient tout ce mouvement et s’apprêtaient à rétablir l’antique constitution, c’est-à-dire à transformer l’empire absolu d’Ivan IV et de Pierre Ier en un gouvernement aristocratique. Menchikof, aventurier sans tradition et qui ne pouvait se montrer sympathique à l’entreprise des hardis boyards, avait été disgracié sous leur influence et envoyé en Sibérie : Pierre II, qui avait dû épouser la fille du tout-puissant ministre, avait rompu ses fiançailles, et il allait épouser une Dolgorouki, quand il fut emporté par la petite-vérole, à peine âgé de quinze ans. Les Dolgorouki s’étaient bien promis de façonner le jeune tsar à leurs idées ; ils mirent à profit sa mort comme ils eussent fait sa vie. Ils disposèrent de l’empire et dictèrent leurs conditions ; une nièce de Pierre le Grand, Anna Ivanovna, duchesse de Courlande, accepta l’offre des boyards et promit de soumettre toutes ses décisions à un conseil de nobles. Ostermann avait laissé s’accomplir ces immenses changemens sans paraître en remarquer la gravité. Le despotisme d’un seul valait mieux cependant pour les chercheurs d’aventures que le gouvernement des boyards ; avec une aristocratie moscovite à la tête de l’état, plus de place pour les étrangers, plus de ces caprices du maître si favorables au talent et à l’intrigue, plus de carrière ouverte à la supériorité de la science ou de la diplomatie ; les vieilles haines nationales s’élevaient contre eux comme une barrière. Pour renverser l’influence des Dolgorouki, il fallait d’abord, et Ostermann ne s’y était pas trompé, qu’ils eussent accompli leur dessein. Une fois Anna Ivanovna montée sur le trône, il ne fut pas difficile de lui faire regretter la puissance qu’elle avait livrée aux boyards. C’est là que se dévoila tout à coup l’effrayante habileté d’Ostermann. Organiser une émeute en faveur de la tsarine asservie, faire déchirer solennellement devant le peuple l’acte par lequel Anna Ivanovna avait renoncé à une partie de ses privilèges, faire déporter en Sibérie les Dolgorouki terrifiés, ce fut l’affaire de quelques jours. Ce coup d’état du despotisme appuyé par les acclamations du peuple, cette restauration du pouvoir absolu accomplie par un Allemand au lendemain même d’une réaction moscovite est certainement une des plus curieuses péripéties de l’histoire.

Est-ce à dire que les étrangers seront désormais les maîtres ? Les Allemands, représentés ici par Ostermann, et avec eux ces Européens de toutes les contrées qui remplissaient depuis Pierre le Grand les fonctions les plus considérables de l’empire, seront-ils assurés d’une influence absolue sous Anna Ivanovna, comme Menchikof sous