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ce qui leur manque, et en attendant qu’un des maîtres de la science germanique, en attendant qu’un Léopold Ranke, un Schlosser, un Dahlmann, un Gervinus veuille bien consacrer son talent et ses veilles au débrouillement de cette confuse histoire, essayons de tracer, dans une rapide esquisse, ce que nous n’avons pas craint d’appeler l’invasion moscovite au sein de l’Allemagne.


I.

LES ALLEMANDS EN RUSSIE.

I.

Les rapports de l’Allemagne et de la Russie datent des premiers temps du moyen âge. Les tribus qui devaient former plus tard la nation russe n’avaient encore qu’une physionomie incertaine ; quelques milliers d’hommes se groupaient autour d’un chef et luttaient péniblement contre les peuplades voisines ; c’est alors que les Germains du nord pénétrèrent chez ces sauvages, comme les squatters des États-Unis chez les Indiens de l’Amérique. Si l’on remonte aux jours lointains où commence à se débrouiller le peuple russe, on voit que les premiers élémens de culture morale lui vinrent des nations allemandes. Bien avant que les Grecs du Bas-Empire leur eussent porté cette civilisation corrompue qui se mêla de bonne heure, surtout dans les colonies du Dnieper et de la Mer-Noire, à une barbarie grossière, les Allemands y avaient porté l’exemple du travail et les mâles vertus de leur pays. Il n’est pas nécessaire de remarquer, comme nos voisins le font souvent avec un singulier orgueil de race, que les Goths, dès le IIe siècle de notre ère, étaient les maîtres dans le pays des Russes, tandis que ceux-ci inquiétaient par de continuels brigandages la civilisation de l’Asie Mineure. Un fait plus significatif, puisqu’il semble bien prouvé aujourd’hui, c’est que vers le temps où se constituent tous les peuples modernes, dans la seconde moitié du IXe siècle, les fondateurs de la première dynastie des grands-ducs n’étaient pas de sang moscovite. On a répété longtemps, sur la foi des historiens nationaux, que les deux frères Rurik étaient des princes varègues ; on sait aujourd’hui, d’après des recherches plus précises, que ces Varègues étaient de hardis aventuriers normands ou frisons, et que la race germanique a le droit de les revendiquer.

C’est donc l’Allemagne qui, instinctivement d’abord et bientôt avec un plan réfléchi et une généreuse ambition, entra dans la Russie pour la civiliser. En 1158, des marchands de Brême, faisant voile vers la Suède, sont jetés sur les côtes de la Livonie ; ils s’y arrêtent, y construisent une ville qu’ils appellent Riga et établissent des relations