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forme une des parties les plus curieuses de l’ouvrage de M. Kastner. C’est à Luther qu’il faut remonter pour saisir dans son premier épanouissement le chant choral. Appelée d’abord à traduire et à propager l’enthousiasme religieux, la création de Luther pénètre bientôt dans le monde profane, et s’identifie sans peine avec toutes les naïves émotions de la vie allemande. des 1673, on trouve une société de chanteurs régulièrement constituée à Greiffenberg en Poméranie. Des bourgeois, des nobles, rapprochés par l’amour de la musique, composent et exécutent des chœurs sous la direction d’un jeune étudiant en théologie, Benedict Lisiccus. Telle est l’origine des Liedertafeln, que l’on comptera plus tard par milliers dans tous les pays germaniques. Un hasard singulier voulut que l’œuvre d’initiation musicale commencée par Luther trouvât, à la fin du dernier siècle, un glorieux continuateur dans Goethe, secondé par le célèbre musicien Zelter. On sait quelle étroite liaison unit Zelter et Goethe, une correspondance précieuse nous l’atteste. Plusieurs lettres de cette correspondance montrent l’habile directeur de l’académie de chant de Berlin intéressant le poète de Weimar aux exercices de sa Liedertafel, obtenant même de lui des conseils et des Lieder restés populaires dans l’Allemagne du nord. L’impulsion donnée alors par Berlin fut décisive, et, à partir des premières années de ce siècle, les institutions chorales se multiplièrent rapidement au-delà du Rhin. Aujourd’hui, les sociétés allemandes de chant pour voix d’hommes étendent leur influence jusque dans les campagnes, et toutes les armées de la confédération germanique ont leurs associations de chanteurs. Toute une branche des plus curieuses de la musique allemande correspond au développement du chant choral.

La France est restée bien en arrière de l’Allemagne dans cette voie d’expansion pour la musique vocale. Cependant la création de l’Orphéon à Paris a donné parmi nous à cette forme de l’art une impulsion féconde. La plupart de nos grandes villes ont maintenant leurs sociétés, leurs institutions lyriques, qui rivalisent avec celle de Paris. Il reste à développer chez nous la musique même dans la forme qui convient le mieux au chant choral, c’est-à-dire ces compositions spéciales qui, sous le nom de Lieder, tiennent une si grande place dans la vie populaire en Allemagne. L’avantage reste sous ce rapport à nos voisins, mais là encore nous commençons à lutter avec eux. M. Kastner a donné un utile exemple à nos compositeurs en faisant suivre ses études sur les associations chorales de plusieurs chants écrits en vue des solennités diverses où ces associations ont à figurer. Il a posé aussi, nous l’avons dit, dans une suite de chapitres clairs et substantiels, les vrais principes du chant en chœur pour voix d’hommes. On doit espérer que de telles publications porteront leurs fruits et seconderont les efforts des sociétés chorales, auxquelles a manqué jusqu’à ce jour moins le zèle et l’enthousiasme qu’une ferme direction. L’exemple de l’heureuse influence morale qu’exercent ces sociétés dans les pays du Nord est bien fait pour encourager la France à marcher dans la même voie.


V. DE MARS.