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qui mettait à la porte les moines de Saint-François, et les anges qui bâtissaient un paradis à part pour les lansquenets et les suisses, car, si peu qu’ils fussent, ils mettaient tout au pillage. — Comment ! dit le curé, on a construit un paradis nouveau ? — Certainement, et l’ancien lui-même est bien changé : c’est à ne pas s’y reconnaître. On n’y reçoit plus les avocats, les sergens, les procureurs ; les clercs eux-mêmes ont grand’peine à y entrer, etc. » La plaisanterie continue longtemps sur ce ton, et après s’être moqué de tout le monde et surtout de sa femme et du curé, le ressuscité leur souhaite le bonsoir en disant qu’il va se coucher, parce qu’il est un peu fatigué de la longue route qu’il vient de faire. — Personne que nous sachions n’a mentionné la Résurrection de Jenin Landore dans les nombreuses études qui de notre temps ont été faites sur Dante, et cependant, après avoir indiqué comme on l’a fait les antécédens de la Divine Comédie, il eût été curieux d’en suivre les dernières traditions à travers le déclin du moyen âge. Cette étoile que le Florentin voyait luire des profondeurs de l’abîme au seuil de la Jérusalem céleste pâlit et s’éteint dans les ténèbres du XVe siècle. Ce n’est plus l’extase, c’est le sarcasme qui introduit les conteurs et les poètes dans le monde mystérieux des peines et des récompenses. La poésie de l’infini semble tarir dans sa source ; la voix criarde et narquoise des Bazochiens et des Enfans Sans-Souci domine comme une protestation cynique la voix des derniers acteurs du drame sacré, la voix de Dante lui-même. On retrouve partout, à l’époque qui nous occupe, les mêmes tendances triviales, la même irrévérence pour les traditions les plus respectables de la foi chrétienne. Ce n’est point là, comme on l’a dit souvent, de la hardiesse d’esprit, mais tout simplement de l’impiété. On emprunte aux livres saints, aux plus grands docteurs de l’église, une foule de passages pour les mêler aux facéties les plus éhontées. Nous indiquerons comme exemple le Sermon joyeux de bien boire et la Farce du pardonneur, sans les analyser toutefois, car ces deux farces contiennent des détails qui doivent rester comme voilés par l’obscurité du vieux texte.

Les écoliers, les pédans et les docteurs ne sont pas plus épargnés par les auteurs des atellanes des XVe et XVIe siècles que par Montaigne et Molière, et la Farce de maistre Mimin, ainsi que celle de Pernet qui va à l’école, nous semblent avoir fourni quelques heureuses inspirations à l’auteur du Malade imaginaire et du Bourgeois gentilhomme. Maistre Mimin, que son père Raulet a fait élever comme un fils de prince, et dont l’éducation n’a pas coûté moins de deux cents livres, maistre Mimin a fait de si bonnes études grecques et latines, qu’il a complètement oublié le français. Lorsqu’il sort du collège, son père et sa mère veulent le marier avec la fille de Raoul Machue, mais comment se comprendre quand on ne parle pas la même langue ? L’un de ses professeurs, qui l’accompagne en qualité d’interprète, le présente à sa fiancée, et lui dit de faire son compliment, exactement comme Thomas Diafoirus. — Ego oubliaverunt le français, répond Mimin. — Grand Dieu ! s’écrie la mère, que va devenir mon fils ? il parle une langue qu’on n’entend pas. Autant vaudrait pour lui qu’il eût perdu la parole. — Vous le voyez, dit le professeur, j’en ai fait un si habile homme, qu’il n’y a pas dans toute l’église un clerc assez savant pour causer avec lui. — C’est justement là, reprend la mère, ce qui fait mon chagrin, et je ne vous demande qu’un