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était une opération calculée pour laisser à l’insurrection le temps de s’étendre et de se propager dans l’armée et dans le pays. Qu’arrivait-il en effet ? Tandis que le ministre de la guerre, le général Blaser, poursuivait O’Donnell, la Catalogne se prononçait ; à Barcelone, le capitaine-général, comme il l’a dit lui-même avec assez de naïveté, ne pouvant résister au mouvement, se mettait à sa tête. Sur plusieurs points de l’Aragon, des provinces basques, de la Vieille-Castille, l’insurrection était proclamée. Aux portes même de Madrid, le régiment de cavalerie de Montesa, qui avait reçu l’ordre de rejoindre la division d’opérations du général Blaser, refusait d’obéir à ses chefs, et se dirigeait au contraire vers le camp des insurgés.

Si le cabinet San-Luis s’était fait jusque-là l’illusion de pouvoir tenir tête à l’orage, ces incidens étaient certes de nature à lui ouvrir les yeux. Aussi le 17 juillet il donnait sa démission, et après diverses combinaisons vainement essayées, la reine nommait un ministère dont le chef était le duc de Rivas ; mais ici il arrivait ce qui arrive toujours à ces heures décisives des commotions publiques. Un mois avant, la démission du cabinet San-Luis eût suffi sans doute ; en ce moment, ce n’était plus assez : « Il est trop tard ! » c’est le mot de toutes les révolutions. Quelle autorité d’ailleurs pouvait avoir le cabinet nouveau formé sous la présidence du duc de Rivas ? Le duc de Rivas est un poète de grand talent, homme aimable et plein de qualités séduisantes, et certes le moins propre à dominer une telle crise. Il n’était pas impopulaire, il était impuissant. Le cabinet du duc de Rivas ne servait qu’à marquer le progrès des événemens par l’apparition des progressistes sur la scène et au pouvoir. Trois membres de ce parti en effet, MM. Cantero, La Serna et Roda, entraient dans ce ministère, tandis que dans les provinces du nord le mouvement passait déjà sous les ordres des généraux progressistes, de Zabala, de Nogueras, enfin d’Espartero lui-même, sorti de sa retraite de Logrono pour se mettre à la tête du pronunciamiento de Saragosse. Un fait constatait encore plus la victoire morale de l’insurrection avant sa victoire matérielle : le colonel Garrigo, l’un des officiers insurgés, pris à Vicalvaro, jugé, condamné et gracié par la reine, était promu au grade de brigadier et au commandement de la cavalerie de Madrid. Le cabinet du duc de Rivas n’avait pas duré quarante heures, qu’il disparaissait dans la lutte dont Madrid devenait à son tour le théâtre. Ce qui s’est passé dans ces trois journées des 17, 18 et 19 juillet, c’est l’histoire de toutes les révolutions populaires : des combats de rue, des violences, des pillages. La multitude madrilègne a pris au mot les programmes insurrectionnels : elle a attaqué le palais de la reine Christine, elle a saccage et brûlé les hôtels de M. Salamanca, du comte de San-Luis et des autres anciens ministres, et bien en a pris sans doute à ces personnages de n’être point là. Comme, en l’absence de tout gouvernement il n’y avait point de défense sérieuse possible, l’action des troupes restées fidèles a fini par se borner à la préservation du palais de la reine. Tout prenait désormais un caractère révolutionnaire : une junte dite de salut public s’organisait sous la présidence du général Évaristo San-Miguel, l’un des hommes marquans du parti progressiste et d’ailleurs estimé de tous les partis. C’est par l’intermédiaire du président de la junte qu’il s’est établi une espèce d’armistice. Le général San-Miguel a été nommé par la reine ministre