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par prévaloir, et de nos jours M. Sainte-Beuve est le seul de nos critiques qui ait témoigné quelque sympathie à la littérature de Vanière et de Rapin. « Je ne voudrais pas, dit M. Sainte-Beuve, dire des vers latins plus de mal que je n’en pense. Je les ai beaucoup aimés ; j’en ai fait avec un goût décidé, je l’avoue, et j’ai cru par là pénétrer plus avant dans le secret de la muse latine. » M. Th. Gautier, comme M. Sainte-Beuve, a gravi le Parnasse antique et chanté les plaisirs de la pleine eau dans un poème intitulé : De Arte natandi ; mais, comme l’auteur de Port-Royal, il a gardé pour lui-même ou pour quelques amis ses inspirations discrètes, et les hexamètres qui arrivent jusqu’au public sont de plus en plus rares : Apparent rari. La plupart, tirés à petit nombre, sont même à peu près introuvables, et à part les rédacteurs de l’Hermès Romanus, dont nous parlerons plus loin, c’est à peine si, en remontant à quarante ans, nous pouvons trouver un nombre de poètes égal à celui des muses.

Sous la république et l’empire, nous ne connaissons guère que M. Cauchy, mort il y a quelques années secrétaire-archiviste de la chambre des pairs, qui ait manié avec talent la prosodie virgilienne. M. Cauchy célébra dans les rhythmes les plus divers le consulat, l’empire et la restauration. On a de lui une ode au premier consul, un dithyrambe sur la bataille d’Austerlitz, un poème sur la naissance du roi de Rome, Nereus vaticinator, et un poème en vers iambiques sur la violation des tombeaux de Saint-Denis. Sous le rapport de la facture et de la langue, ces œuvres peuvent soutenir la comparaison avec le XVIe et le XVIIe siècle. MM. Benaben, Billecocq et Groult de Tourlaville peuvent être également regardés comme de bons latinistes, mais ils n’ont point au même degré que M. Cauchy la couleur romaine, et pour notre part nous préférons M. Grandsire, lequel s’intitule : Regius beneficiarius, olimque à secretis princeps in regia musices Academia, ce qui veut dire pensionnaire du roi, ancien secrétaire général de l’Académie royale de musique. Fidèle aux traditions littéraires les plus rétrospectives, M. Grandsire a traversé sans broncher les temps les plus orageux du romantisme, et en 1830 il a donné sous le titre de Fahulæ variorum une traduction en vers pentamètres des fables choisies de Florian, La Mothe, Lemonnier, Aubert, etc., en laissant toutefois de côté La Fontaine, parce qu’il jugeait avec raison qu’il était impossible de le traduire. Certaines expressions et certains noms modernes ont subi sous sa plume de singulières métamorphoses, et l’on aurait grand’peine à reconnaître le Troupeau de Colas de Florian dans Mopsi pecus, Fanfan et Colas dans Agis et Andreas, Chloé et Fanfan dans Chloris et Agis. À part ces infidélités, qu’il était fort difficile d’éviter, M. Grandsire s’est acquitté de sa tâche en humaniste habile et en homme d’esprit. Les vers martelés et pénibles de La Mothe et d’Aubert ont pris avec la forme latine une agréable tournure ; les originaux, chose très rare, ont souvent gagné à être traduits, et Florian lui-même, dans ses meilleurs morceaux, n’a point trop perdu à parler une langue nouvelle.

Sans doute au milieu de ces compositions, qui ne sont pour la plupart que des pastiches plus ou moins habiles, il faut chercher longtemps avant de rencontrer une œuvre attachante, et encore la cherche-t-on le plus souvent sans la trouver ; aussi avons-nous été fort agréablement surpris en découvrant, — le mot est juste, quoiqu’il date à peine de vingt ans, — l’une des