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raconte en bon latin l’histoire de la décadence de l’art oratoire chez les Romains. On doit encore à M. Henriot, élève de l’école d’Athènes, un très bon travail sur la Géographie des poètes primitifs de la Grèce, à M. Renan une savante étude sur la Philosophie péripatéticienne chez les Syriens, et à M. Duruy une dissertation sur Tibère, qui atteste une connaissance approfondie de l’histoire romaine et une remarquable sagacité critique. Le moyen âge, la littérature chrétienne et la littérature française sont également représentés dans les thèses qui nous occupent. M. l’abbé Lescœur, maître de conférences à l’école normale et membre de la nouvelle congrégation de l’Oratoire, a comparé les lettres de Leibnitz et de Bossuet, en même temps que M. l’abbé Jallabert étudiait, en les désignant sous le nom d’Épîtres consolatoires, dix lettres adressées par saint Jérôme à diverses personnes à l’occasion de la perte de leurs amis ou de leurs parens. Conduit par la nature même de son sujet et par l’époque où vivait saint Jérôme à comparer les idées des philosophes païens et des écrivains ecclésiastiques sur la mort, M. Jallabert a composé un excellent petit traité de morale pratique et d’histoire littéraire, et par la correction de son style il a prouvé une fois de plus, contre M. l’abbé Gaume, que les études classiques ne sont nullement incompatibles avec les sentimens du plus pur christianisme. Le travail de M. Ouvré sur la Monarchie de Dante, celui de M. Perrens sur les Théories de lord Chesterfield relatives à l’éducation des enfans, se distinguent également par des appréciations très justes et une excellente latinité. Nous croyons devoir insister ici sur l’éloge, parce qu’il y a dans quelques-unes des brochures dont nous venons de parler beaucoup plus de science et de travail qu’il n’en a fallu souvent pour assurer le succès de certains livres.

Si le nombre des prosateurs latins est à peu près réduit aujourd’hui aux docteurs ès-lettres, le nombre des poètes a diminué dans une proportion beaucoup plus grande encore. Par une singulière bizarrerie, la première protestation qui ait été faite en France contre la poésie latine moderne l’a été par celui de nos écrivains qui s’est le plus directement inspiré des poètes de l’ancienne Rome. On devine qu’il s’agit de Boileau. L’auteur de l’Art poétique, dans un dialogue que lui-même qualifié de plaisant, suppose que les versificateurs néo-romains du XVIIe siècle vont faire visite au fils de Latone[1], et qu’ils lui font tous un compliment en hexamètres. L’un d’eux reste court, et ne peut même achever le vers qu’il a commencé qu’à l’aide d’un barbarisme. Apollon se fâche, et leur déclare que pour eux Pégase sera toujours rétif. Cet arrêt fut ratifié au XVIIIe siècle par Voltaire, qui, tout en déclarant que des étrangers ne peuvent ressusciter le siècle d’Auguste dans une langue qu’ils ne savent pas même prononcer, ne dédaigna point cependant d’invoquer quelquefois la muse latine, témoin ce distique qu’il a placé en tête d’une dissertation sur le feu :

Ignis ubique latet, naturam amplectitur omnem,
Cuncta parit, renovat, dividit, unit, alet.

Malgré quelques rares protestations, l’avis de Voltaire et de Boileau finit

  1. Œuvres complètes de Boileau, édition de M. Daunou, tome II, page 211.