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nous arrêter sur ces publications spéciales. Ce que nous avons dit suffit pour montrer comment se forment nos traducteurs et nos latinistes : il faut les voir à l’œuvre.


III.

En retraçant l’histoire de l’enseignement du latin en France, nous avons eu occasion de montrer, par quelques exemples pris au hasard, combien étaient défectueuses les traductions du XVIIe siècle ; nous avons en même temps constaté que de ce côté du moins le siècle suivant avait été en progrès notable. En arrivant à notre temps même, nous pouvons constater encore un progrès nouveau.

Les traducteurs peuvent se diviser en deux classes distinctes : d’une part ceux qui étudient l’antiquité par amour pour ses œuvres, pour apprendre tout à la fois à bien penser et à bien dire, en un mot les traducteurs qui ont la passion du latin, ceux qu’on pourrait appeler les volontaires de la philologie ; — de l’autre ceux qui travaillent à la demande des libraires, ceux qui font, qu’on nous passe le mot, les raccommodages de la traduction, et qui se chargent de la fourniture de texte français pour les bibliothèques et les collections des classiques. Nous nous occuperons d’abord de ceux qui travaillent exclusivement par zèle pour l’art et la philologie antique, et dans cette catégorie nous donnerons la première place à ceux qui traduisent en vers les poètes romains. Ce genre d’exercice a toujours été très populaire chez nous, et c’est principalement Horace et Virgile qui ont obtenu les honneurs de la version rimée.

Dès la fin du xvie siècle, Horace avait été déjà translaté plus de trente fois en rimes françoises, et aujourd’hui on peut porter jusqu’à deux cents le nombre des versions en vers qui ont été faites chez nous des œuvres complètes ou partielles du protégé de Mécène. Le sentiment exquis et profond des choses de la vie qui distingue ce grand poète, ses vers de chair et d’os, comme les appelle Montaigne, qui signifient plus qu’ils ne disent, sa sensibilité vive, mais toujours contenue, lui ont acquis la sympathie de tous les âges. Les gouvernemens, les mœurs, les goûts littéraires ont beau changer, le public ne change jamais pour Horace ; de 1832 à 1849, les odes ont été traduites quatorze fois ; les satires, trois fois depuis 1828 à 1848 ; les épitres, cinq fois de 1831 à 1846 ; l’Art poétique, neuf fois de 1836 à 1844. Les biographes n’ont pas été moins empressés que les traducteurs pour le poète de Tibur. M. Walckenaër a écrit sa vie avec le soin minutieux qu’on apporte aux choses contemporaines ; M. Janin, qu’on peut ranger parmi nos bons latinistes, lui a consacré une charmante étude[1], et M. Patin l’a fait revivre à la Sorbonne dans un cours toujours applaudi.

Les traductions en vers de Virgile, œuvres complètes ou partielles, ne sont pas moins nombreuses que celles d’Horace. L’une des plus anciennes qui soient arrivées Jusqu’à nous est celle qui a pour titre : le livre des Esneides, conpilé par Virgile ; elle date de 1483. L’auteur, dont le nom n’est point connu, débute en disant qu’il a translaté son livre « à l’honneur de Dieu

  1. Voyez la Revue du 1er  janvier 1842.