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la lexicographie, une marche ascensionnelle ; elles ont rejeté toutes les scories de la décadence romaine et de la barbarie du moyen âge : en remontant directement aux sources antiques, elles ont ramené la science à son exactitude et à sa pureté primitive. C’est surtout dans la renaissance latine des premières années de la restauration que ce progrès se montre et se développe. Le point de départ de la révolution qui s’est accomplie de notre temps même dans la grammaire latine est marqué par la méthode prénotionelle de M. Le Mare, que Nodier appelait avec raison l’un de nos plus éminens grammairiens. Par malheur pour le succès de son livre, M. Le Mare n’appartenait point à l’Université ; il avait d’ailleurs inventé un fourneau économique, et le conseil de l’instruction publique crut déroger en autorisant pour les classes, quelque savans qu’ils fussent, les travaux d’un homme qui fabriquait des appareils de ménage. On voulait en outre garder aux professeurs la spécialité des ouvrages classiques, et la gloire de détrôner Tricot et Lhomond fut réservée à M. Burnouf, dont la grammaire latine laisse peu à désirer sous le rapport de l’érudition positive.

Nous n’entrerons point ici dans l’examen détaillé des livres qui figurent sur les pupitres des écoliers de nos collèges[1]. Nous constaterons seulement que de ce côté, comme dans la philologie proprement dite, le progrès est de jour en jour plus sensible. Quelques-uns de ces livres modestes sont d’excellens morceaux d’érudition ou de critique littéraire : nous citerons entre autres l’Histoire de la littérature romaine, de M. Pierron, et le Traité de versification latine, de M. Quicherat ; mais notre intention n’est pas de

  1. Tous les vieux livres écrits par des latinistes modernes, le De Diis et le De Viris, ont disparu aujourd’hui pour faire place aux écrivains antiques. Les collections publiées par M. Hachette, à qui l’on doit de si importantes améliorations, ses Auteurs latins expliqués par une méthode nouvelle, ses Choix gradués de Versions, forment une bibliothèque très considérable, dont les livres, eu égard à la modicité de leur prix, peuvent être regardés comme des livres de luxe, savamment annotés et très purs de texte. La même remarque s’applique à la Nouvelle Bibliothèque du Baccalauréat de M. Pierron, qui unit aux avantages pratiques d’un excellent ouvrage élémentaire une érudition littéraire très sûre et très étendue. Si les entrepreneurs de manuels et les entrepreneurs de bacheliers ès-lettres ont jeté parfois sur les travaux destinés aux classes une sorte de défaveur en cherchant avant tout des bénéfices faciles dans une production accélérée, il est juste néanmoins de faire une réserve en faveur des hommes savans et modestes qui, fidèles aux traditions de l’ancienne Université et des corporations savantes, oratoriens, jésuites ou solitaires de Port-Royal, se sont occupés, sans grand profit pour leur réputation ou leur fortune, des livres destinés à l’enseignement classique. Quand un si grand nombre de productions futiles et souvent même dangereuses sont chaque jour acclamées par la critique, n’est-il point vraiment regrettable que cette même critique ait laissé passer depuis vingt ans, sans leur prêter attention et surtout sans leur rendre la justice qu’ils méritent, les travaux classiques de MM. Gibon, Duruy, Stiévenart, Martin, Egger, Havet, Desportes, Sommer, Jourdain, Fix, Dübner, Gérusez, etc. ? L’Université d’ailleurs a été dans ces dernières années l’objet de si injustes attaques, qu’il est bon, quand l’occasion se présente, d’examiner ses œuvres. Dans la longue et ardente querelle de la liberté de l’enseignement, quelques ouvrages — Plus en vue par leur caractère exclusivement littéraire et philosophique — ont été seuls l’objet de la discussion, et c’est pour cela que nous avons tenu à constater en passant le mérite de ceux dont personne n’a parlé, peut-être par cela même qu’on n’en pouvait dire que du bien.