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à l’histoire est celle qui, observant la filiation des choses sociales, fait voir comment les civilisations procèdent les unes des autres, et par quel enchaînement la force d’évolution qui est inhérente à la race humaine amène les phases successives, ou, pour mieux dire, les âges progressifs de cette vaste existence. Pourtant, cela dit et bien entendu, il est vrai également qu’un grand profit peut être, en histoire, tiré de la comparaison, en la réglant, comme on fait dans la science, sur les cas véritablement analogues et en considérant ce que les circonstances particulières apportent de différence dans le phénomène fondamental. Ainsi dans l’exemple qui nous occupe, des deux côtés, parmi les populations achéennes et parmi les populations féodales, religion fondée, société renouvelée, langue sortie du balbutiement, amour de la guerre, croyance au merveilleux, et pourtant vif besoin du beau, et des deux côtés aussi, poésie chantant les combats, les héros et une grande légende nationale !

L’oubli qui avait si complètement submergé les vieilles productions de nos trouvères commença de bonne heure. Dès la seconde moitié du XIVe siècle et surtout pendant le XVe non-seulement la veine s’était tarie irrémédiablement, et aucune œuvre ne venait plus témoigner que l’imagination eût conservé quelque tendance épique, mais encore un discrédit croissant s’étendit sur ces compositions, qui cessèrent d’être lues, goûtées, comprises. C’est un phénomène curieux à se représenter que cet élan rapide et actif vers une poésie nouvelle, suivi d’une chute profonde : élan qui, dans les XIe et XIIe siècles, emplit les cours féodales de mille poèmes ; chute qui, un peu plus tard, en laissa les auteurs sans mémoire et sans bruit. Tout fut sacrifié dans ce revirement, le bon et le mauvais, le regrettable et ce qui ne méritait aucun regret, — et comme s’il n’avait eu ni poètes, ni langue, ni vers, ni âge poétique, l’esprit d’alors se mit à chercher vainement quelque issue, à bégayer quelques essais, jusqu’à ce que la renaissance vînt d’un côté épaissir encore le linceul qui couvrait déjà tout ce passé, et d’un autre côté préparer avec un présent actif les germes d’un avenir brillant.

Ce ne fut pas la vieille poésie seule qui subit cette décadence ; la vieille langue aussi éprouva des altérations profondes qui en changèrent le caractère, si bien qu’elle doit être tenue non pour la mère, mais pour l’aïeule du français moderne. Le français moderne est fils de celui du XVIe siècle ; entre les deux, il n’y a que des remaniemens légers, et tout l’essentiel est commun de l’un à l’autre. Il n’en est pas de même par rapport au vieux français : celui-ci a des caractères spécifiques qui ne sont pas arrivés jusque dans le langage actuel. Ainsi il distingue, dans une foule de substantifs, le sujet du régime, fidèle en cela à la tradition du latin, dont il est issu directement : li homs et l’homme, li homs au sujet et l’homme au régime ; Diex (prononcez