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et des enfans, auxquels ils épargnaient les coups de fouet, qui furent longtemps, on peut le dire, l’unique base de l’enseignement national. Stimulés par les progrès que messieurs de Port-Royal avaient fait faire aux méthodes d’instruction, les jésuites s’empressèrent de les imiter, et l’université, effrayée de la concurrence, après s’être obstinée quelque temps dans les vieilles routines, finit par céder.

Au XVIIIe siècle, la philologie et les hautes études grammaticales reçurent un grand développement ; mais on ne tenta rien de nouveau pour les classes. Les livres de Port-Royal d’un côté, ceux des jésuites de l’autre, restèrent longtemps en possession d’instruire et de faire pleurer l’enfance, et ce ne fut guère que quelques années après l’organisation de l’Université impériale, qu’on essaya d’améliorer les ouvrages élémentaires. Grâce à cette organisation et aux études de l’école normale, d’habiles professeurs se formèrent ; la composition d’ouvrages classiques devint pour un grand nombre d’entre eux une utile spécialité, et aujourd’hui il ne faut à ceux qui veulent savoir le latin que la ferme volonté de l’apprendre, car ce ne sont pas les livres qui manquent.

En commençant par les dictionnaires et les grammaires, qui sont véritablement les livres initiateurs de la philologie, nous avons compté, — de 1843 à 1851, — deux cent cinquante-neuf publications, ouvrages nouveaux et réimpressions, et comme ces livres se tirent à grand nombre, ils forment, au simple point de vue commercial, l’une des branches les plus importantes de la librairie française, de la librairie parisienne surtout. Sous le rapport de l’exécution matérielle, ils sont de beaucoup supérieurs à ce qu’ils étaient autrefois, et il en est de même sous le rapport littéraire. Les travaux des Allemands sur l’origine et l’étude comparée des langues européennes ont réagi sur les grammaires mêmes, et là du moins le progrès est incontestable.

La lexicographie, qui s’était tenue avec les Etienne et Du Gange sur les hauteurs les plus élevées de la science, la lexicographie, tout en restant savante, est devenue plus accessible et plus pratique, et c’est un point qu’il est bon de noter, car en général ou attache trop peu de prix au talent d’écrire un dictionnaire. S’agit-il d’un dictionnaire français : on est arrêté à chaque pas par les définitions, et pour s’en convaincre il suffit de parcourir les ingénieuses remarques de Nodier, qui s’était fait le censeur impitoyable de tous les dictionnaires, y compris celui de l’Académie avant qu’il fût lui-même chargé d’y travailler. La difficulté des définitions n’existe pas pour les dictionnaires latins, mais celle des nuances et des équivalens dans les deux langues n’est pas moins grande, et quand on pénètre dans le génie même de l’idiome latin, si riche en mots qui sont tout à la fois une pensée et une image, on reconnaît combien la rédaction d’un lexique demande de science et de soins. Le Dictionnaire latin-français de MM. Daveluy et Quicherat, dont la première édition a paru en 1844[1], nous semble un des meilleurs livres qui aient été publiés dans ce genre. En étendant leur travail, d’une part aux origines, de l’autre à la décadence de la littérature romaine, en commençant aux chants saliens pour finir à Fortunat, les auteurs de ce

  1. Paris, Hachette, grand in-8o.